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Page:La Normandie littéraire, année 15, tomes 7-8, numéros 1 à 11, 1900.djvu/15

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que j’aime aujourd’hui qu’il m’apparaît sous l’idée de bonté infinie, Dieu dans le sein duquel je veux retourner pour qu’il me fasse renaître meilleure. »

On est alors tenté de redire le mot de la mère Alicia mourante à laquelle on racontait tous les écarts de conduite et de plume de son ancienne élève : « Bah ! Bah ! je suis bien sûre qu’elle aime Dieu ! »

Il faut se rappeler qu’elle a souffert et qu’ici-bas les âmes opprimées ont droit à l’indulgence. Elle eut des heures de foi et de regret. L’Église la bénit après sa mort et elle repose en terre consacrée. Pourquoi donc la juger trop sévèrement et pourquoi ne serait-elle pas, comme elle l’espérait, passée « pardonnée sous la grande herse du jugement dernier. »[1]

Lorsqu’elle fut sortie du couvent, encore très jeune et très ignorante, Aurore s’en revint à Nohant, auprès de sa grand’mère qu’elle se mit à aimer et à soigner. Mais les journées étaient longues dans le fond du Berry, et pour les occuper elle vécut de la vie des champs, approvisionnant ainsi tout un trésor de sensations champêtres qu’elle traduirait plus tard dans les plus jolis de ses romans. Elle travaillait aussi beaucoup, passant une partie de ses nuits à lire, et elle lisait sans ordre, sans distinction, avec une avidité dangereuse. Elle portait en elle déjà, le « trouble des âmes généreuses inassouvies » ; elle était un « être de pur sentiment et de pure imagination », comme le lui disait plus tard, en la raillant doucement, son ami Michel de Bourges. Elle s’éprit de la nature et l’aima d’instinct, « autant pour ses modesties adorables que pour ses grandeurs terrifiantes. » [2] Son imagination s’élançait dans le monde infini des visions. Elle aimait à regarder au loin les brumes qui tremblent et qu’elle peuplait des créations de son rêve. Elle allait par les chemins, au lever ou au déclin du jour, et dans la clarté indécise des brouillards elle se créait un univers elle se perdait dans l’horizon, « cette patrie des âmes inquiètes ». Dans toutes ses œuvres, elle a mêlé les hommes à la nature partout, elle a cherché d’abord la poésie il lui

  1. Lettres d’un voyageur, p. 310
  2. Lettres d’nn Voyageur, p. 6.