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Page:La Normandie littéraire, année 15, tomes 7-8, numéros 1 à 11, 1900.djvu/16

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en fallut toujours, « de celle qu’on boit dans l’enfance et sans savoir quel nom on lui donne. »

Personne, autour d’elle, ne se doutait à cette époque, pendant les longs mois de solitude passés à Nohant, du ferment poétique qui germait dans son esprit. On la croyait un peu niaise. Et puis, elle se faisait si patiente et si câline avec la pauvre aïeule qui s’en allait lentement ! On ne lui supposait vraiment aucune autre préoccupation.

La mort de sa grand’mère lui fut une douleur profonde qu’elle supporta en apparence simplement mais dans cette circonstance, elle s’exalta cependant d’une manière étrange, de complicité avec un vieil ami de sa famille, l’ancien précepteur de son frère, Deschartes. Elle se rendit avec lui, pendant la nuit de Noël, jusqu’au cimetière contigu du parc : elle descendit dans la fosse entr’ouverte où le lendemain sa grand’mère allait être étendue, où reposait son père, et soulevant le cercueil disjoint déjà par le temps, elle déposa un baiser sur la tête refroidie de ce père mort trop jeune et dont la vision adorée l’avait hantée si souvent !

Après ce deuil ressenti cruellement, elle dut suivre sa mère à Paris, mais elle vécut dans un milieu qui la fit souffrir, et quand les propositions de mariage arrivèrent, elle se décida sans réflexion.


II

Elle épousa le baron Dudevant et alla vivre avec lui à Nohant. Elle accepta d’abord sans résistance les allures autoritaires de son mari. Mais son orgueil silencieux et indomptable devait la conduire vite à la révolte en présence des froissements forcés qui accompagnent l’existence de deux êtres rivés ensemble lorsqu’ils ne se comprennent ni ne s’aiment. « J’étais, dit-elle, une liane voyageuse des grandes mers, et on m’a mise sous une cloche de jardin ». Comment enlacer en effet, et retenir par des liens forcés, la plante indépendante et fugace venue on ne sait de quelles profondeurs, et qui, plus capricieuse que les vagues, se ploie à leurs moindres mouvements ? Elle pensa exclusivement au début de son mariage aux deux maternités successives qui l’occupèrent pendant quelques années. Cependant, malgré son désir sincère et sincèrement exprimé