Page:La Nouvelle Revue, vol. 20 (janvier-février 1883).djvu/256

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métalliques de son invention, d’après la méthode de Paracelse. Ces poudres métalliques furent un peu cause de la mort de sa jeune, jolie, mais bien fragile petite femme, qu’il aimait passionnément, et dont il avait eu un fils unique. Ces poudres avaient même déjà en quelque sorte ébranlé la santé de ce fils, qu’il voulait au contraire fortifier, trouvant dans son organisme de l’anémie et un penchant à la phtisie, héritage de sa mère. Sa réputation de sorcier lui venait entre autres de ce qu’il croyait être un arrière-petit-neveu, indirectement il est vrai, du célèbre Bruce, en l’honneur duquel il avait donné à son fils le prénom de Jacques.

C’était un de ces hommes dont on dit qu’ils sont la bonté même, mais d’un caractère mélancolique, méticuleux, avec un penchant vers toute chose mystérieuse et étrange. L’exclamation « ah ! », exhalée à demi-voix, lui était habituelle. Il mourut même avec cette exclamation sur les lèvres, deux ans après être venu s’établir à Moscou.

Son fils, Jacques, ne ressemblait pas à son père qui, gauche et mal bâti, n’était pas beau de sa personne. Il rappelait plutôt sa mère. Les mêmes traits fins et gracieux, les cheveux soyeux et d’un blond cendré, le petit nez légèrement aquilin, les lèvres pleines et enfantines, et de grands yeux d’un gris verdâtre, que de longs cils voilaient à demi. C’est par le caractère qu’il rappelait son père ; et son visage, quoique dissemblable, portait comme un reflet de l’expression paternelle.

Il avait aussi les mains noueuses et la poitrine rentrée du vieil Aratof, que l’on nommait à tort vieux, car il n’avait pas cinquante ans au moment de sa mort. Encore du vivant de son père, Jacques était entré à l’Université, à la Faculté des sciences naturelles. Cependant il ne termina pas ses cours, non par paresse, mais parce que, d’après sa conviction, l’Université n’apprenait pas plus qu’on n’en pouvait apprendre à la maison. Quant au diplôme, il ne s’en souciait guère, car il n’avait pas l’intention d’entrer au service de l’État. Il évitait ses camarades, n’avait presque pas de connaissances, fuyait surtout la société des femmes et vivait solitaire, enfoui dans ses livres. Il fuyait les femmes, tout en ayant le cœur très tendre et