Page:La Nouvelle Revue, vol. 20 (janvier-février 1883).djvu/257

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très accessible à l’influence de la beauté. Il s’était même procuré un superbe keepsake anglais, dans lequel il contemplait avec une admiration sincère (ô honte !) les yeux énormes, les bouches en cœur, et les cous penchés des ravissantes Medoras et Gulnares qui l’illustraient. Mais sa timidité et sa pudeur natives continuaient à le retenir loin des femmes. La chambre qu’il occupait dans la maison, et où il couchait, avait été le cabinet de son père, et son lit était celui même où son père était mort.

L’aide principal, le camarade et l’ami immuable de son existence était cette tante, cette Platocha, avec laquelle il échangeait à peine dix paroles par jour, et sans laquelle il n’aurait pu faire un pas. C’était un être au long visage, aux longues dents, avec des yeux pâles dans une pâle figure, avec une expression constante de tristesse mêlée d’anxiété soucieuse. Toujours vêtue d’une robe grise et d’un châle gris qui sentait le camphre, elle errait dans la maison comme une ombre, à pas silencieux, soupirait, murmurait des prières, une surtout qui ne consistait qu’en trois mots : « À l’aide, Seigneur ! » Avec cela, excellente ménagère, regardant à chaque copeck et faisant elle-même tous les achats. Elle adorait son neveu, se préoccupait constamment de sa santé, avait peur de tout, non pour elle-même, mais pour lui ; et, chaque fois qu’elle croyait voir quelque chose d’un peu suspect, elle lui plaçait en tapinois une tasse de thé pectoral sur sa table à écrire, ou bien lui passait le long du dos ses petites mains molles comme de la ouate. Ces soins ne fatiguaient pas Jacques, mais il ne buvait pas le thé, et se contentait de balancer la tête d’un air approbateur.

Du reste, lui non plus ne pouvait se vanter de sa bonne santé ; il était très impressionnable, très nerveux, il souffrait de battements de cœur et quelquefois d’étouffements.

Comme son père, il croyait qu’il existait dans la nature et dans l’âme humaine des mystères qu’on peut quelquefois pressentir, mais qu’il est impossible de comprendre ; il croyait à la présence de certaines forces, de certaines influences rarement favorables, plus souvent ennemies, et il croyait aussi à la science, à son importance et à sa dignité. Dans les derniers temps, il s’était pris de passion pour la photographie. L’odeur