Page:La Nouvelle Revue, vol. 20 (janvier-février 1883).djvu/258

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des matières qu’on y emploie inquiétait beaucoup la vieille tante, non pas pour elle, bien entendu, mais pour son Yacha. Mais, avec toute la douceur de son caractère, il était passablement obstiné, et il persistait à s’adonner à son occupation favorite. Platocha se soumit ; seulement elle soupirait et murmurait plus qu’auparavant son « À l’aide, Seigneur ! », en voyant les doigts de son neveu barbouillés d’iode.

Jacques, comme on l’a déjà dit, évitait ses camarades. Pourtant il s’était lié assez intimement avec l’un d’eux, et il continua à le voir souvent, même après que celui-ci, ayant quitté l’Université, eut pris un service assez doux, il est vrai : il s’était, selon son expression, faufilé dans la commission nommée par l’État pour la construction de l’église du Saint-Sauveur, quoiqu’il n’entendît rien à l’architecture. Et, chose étrange, cet unique ami d’Aratof, du nom de Kupfer, un Allemand tellement russifié qu’il ne savait plus un mot de sa langue maternelle, et traitait d’Allemand celui qu’il voulait injurier, cet ami d’Aratoff n’avait, à première vue, rien de commun avec lui.

C’était un garçon aux cheveux noirs et bouclés, aux joues rouges, gai, bavard, et grand amateur de cette même société féminine qu’Aratof évitait avec tant de soin. Il est vrai que Kupfer déjeunait et dînait chez son ami assez fréquemment, et même, n’étant pas riche, lui empruntait quelquefois de petites sommes d’argent. Mais ce n’est pas cela qui poussait si souvent le jeune homme a fréquenter la modeste maison de la Chabolofka. La pureté d’âme, l’idéalisme de Jacques lui plaisaient ; était-ce par le contraste que ces qualités formaient avec ce qu’il rencontrait et voyait tous les jours, ou bien ce penchant vers le jeune idéaliste décelait-il le sang d’un compatriote de Schiller ?

D’autre part, la bonne humeur et la franchise de Kupfer plaisaient à Jacques ; en outre, ses récits sur les théâtres, les concerts, les bals dont il ne manquait pas un, sur tout ce monde inconnu où Jacques n’osait pénétrer, occupaient secrètement et agitaient le jeune solitaire, sans exciter pourtant en lui le désir de connaître tout cela par sa propre expérience. Platocha aussi ne voyait pas Kupfer de très mauvais œil ; elle le trouvait bien