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caractère de Clara, la vie devient facilement un ennui, un fardeau. Oui, décidément, Kupfer a raison : elle en avait assez de la vie…

Malgré ses succès ? ses ovations ? Aratof se mit à rêver. Cette analyse à laquelle il se livrait lui était en quelque sorte agréable. Étranger jusqu’alors à tout contact avec les femmes, il ne soupçonnait pas lui-même combien cette persistance à déchiffrer une âme féminine était significative pour lui.

— S’il en est ainsi, continua-t-il, l’art ne la contentait donc pas, ne remplissait pas le vide de sa vie ? Les véritables artistes n’existent que pour leur art ; tout le reste pâlit devant ce qu’ils reconnaissent être leur vocation… Ce n’était qu’une dilettante !

Mais ici Aratof s’arrêta de nouveau. Non, le nom de dilettante n’allait pas à ce visage, à l’expression de ces yeux.

Et devant lui surgit encore l’image de Clara, avec son regard noyé de larmes et fixé sur lui, avec ses mains pressées l’une contre l’autre et soulevées jusqu’à ses lèvres.

— Ah ! assez, assez ! se dit-il, comme brisé de fatigue, à quoi bon tout cela ?

Ainsi se passa la journée. Pendant le dîner, Aratof causa longtemps avec Platocha, la questionna sur le temps d’autrefois, dont elle ne se souvenait guère et qu’elle racontait mal, n’étant pas de langue facile et n’ayant de sa vie fait attention qu’à son Yacha, qu’elle était heureuse de voir ce jour-là si gentil et si bon. Il finit même par jouer aux cartes avec elle.

Ainsi se passa la journée. Mais la nuit !…

XI

Elle avait bien commencé. Aratof s’était bientôt endormi, et, quand la tante entra sur la pointe des pieds dans sa chambre pour faire trois fois le signe de la croix au-dessus de sa tête, ce qu’elle ne manquait pas de faire chaque nuit, il était tranquillement étendu et respirait comme un enfant. Mais, vers le matin, il eut un rêve.

Il lui sembla qu’il marchait dans une steppe vide parsemée