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Page:La Nouvelle Revue, volume 102 (septembre-octobre 1896).djvu/364

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LA NOUVELLE REVUE.

tiers de pareilles récréations, même s’il lui est interdit de participer aux plaisirs virils de ses camarades. Mais Tello reprit ses fleurs et ses pinceaux et se mit à vendre, parmi ses amis et connaissances, tout ce qui s’échappait de ses doigts.

Cela ne valait pas grand’chose, et le nombre des va-nu-pieds qui avaient appris le chemin de sa demeure augmentait rapidement. Il réquisitionnait à l’école les vieux souliers des autres, garçons ; mais tout cela était si insuffisant ! Il avait aussi, dès 1885, organisé un arbre de Noël pour ses protégés. Cette année-là, il y avait eu assez de chaussures, de gâteaux et de fruits pour faire les délices d’une vingtaine d’entre eux !

Vous autres, qui ne voyez l’Amérique que dans une fuite rapide, par les glaces d’un Pulmann-car ou bien à travers les impressions hâtivement récoltées par un touriste à la plume facile, vous n’imaginez pas ce que sont, à l’époque de Noël ou bien au Thanksgiving Day, ces cités américaines qu’on vous dépeint desséchées et endurcies dans le culte du veau d’or. Partout des charités, de ces charités « de luxe » qui sont si ingénieuses et que vous jugez dangereuses parce que vous avez gardé, du vieux temps féodal, ce préjugé que les pauvres sont faits d’un autre bois que vous-même.

Les Américains ne pensent pas qu’un jour de fête soit de trop dans une vie de misère, ni qu’on risque de gâter un enfant en lui donnant un joujou neuf ou des friandises inutiles. Vous partez de ce point de vue que la flamme de Bengale rend plus obscure l’obscurité qui lui succède ; ils croient, eux, que le souvenir de sa splendeur évanouie aide à supporter les ténèbres. Ce sont deux conceptions de la charité absolument opposées l’une à l’autre.

Aux approches de Noël donc, les New-Yorkais se groupent pour préparer les Christmas Trees. On les surcharge de lumières, de fleurs, d’objets ; et on réunit tous ces enfants abandonnés, auxquels New-York apprend les duretés de l’existence et qui s’exercent de mille manières à trouver leur pain dans les fentes de sa richesse ; ils sont des centaines et des centaines qui vendent les journaux, matin et soir, sautant dans les tramways en marche, se faufilant partout et voyant peu à peu diminuer l’énorme masse de papier tout frais imprimé dont on a surchargé leurs faibles bras ; ils sont aussi des centaines qui cirent les souliers, tout du long du jour, armés d’une brosse, d’un pot de cirage et d’un escabeau, et