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Page:La Nouvelle Revue, volume 102 (septembre-octobre 1896).djvu/365

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LA MISSION DES VA-NU-PIEDS.

des centaines encore qui vont au vent, l’œil éveillé, guettant un métier imprévu, un hasard favorable… Curieux types, ces gamins de New-York en qui l’on retrouve cette vivacité et cette ingéniosité à « se débrouiller » qui distinguent le gamin de Paris, avec, à côté, quelque chose de posé, de suivi, de moins gai aussi et de moins drôle. Ils n’aiment guère à mendier et regardent avec un plaisir un peu fier les sous qu’on leur met dans la main ; quelquefois un de plus que le compte, parce qu’ils sont populaires et qu’ils ne rechignent pas au travail.

Mais, pour vendre les journaux ou faire des commissions, se rendre utile d’une manière quelconque, il faut avoir des souliers aux pieds ; ceux qui n’en ont pas sont condamnés à l’ornière sans fin, et c’est pourquoi, avec l’esprit pratique du nouveau monde, Tello d’Apery avait tout de suite donné cette forme à ses ambitions charitables : la paire de souliers, — la paire de souliers qui permet les longues marches et constitue pour l’être humain le premier échelon de la respectability.

Le commerce des fleurs en papier et des petits ouvrages de dames, décidément, ne fournissait que des ressources insignifiantes. Tello pensa à un journal qui contiendrait des histoires d’enfants, écrites par des enfants, et créerait un lien entre tous les petits riches pour venir en aide à tous les petits pauvres. Il en parla à ses parents et leur demanda leur agrément. La permission fut donnée à deux conditions : la première, c’est que l’essai durerait au moins une année, et la seconde, c’est qu’aucune subvention ne serait fournie par les parents. C’était à Tello à faire réussir son journal, quitte à l’abandonner, au bout d’un an, « s’il ne payait pas ». — Affaire conclue ! L’enfant de douze ans se mit à la besogne ; il parla à ses camarades de classe, sollicita des annonces, des abonnements, des dons. — Le premier numéro parut en avril 1889 ; on le tira à mille exemplaires ; l’impression, le papier et les frais de poste payés, il resta un profit net de 6 dollars 25 (30 fr. 25). « Il s’agit, disait l’editorial, de réunir de l’argent pour fonder une mission de va-nu-pieds à New-York, où les enfants abandonnés puissent à toute heure obtenir des bas et des souliers, sans démarche à faire, ni preuve à fournir, ni temps perdu. »

Le succès fut grand, mais toujours montait la marée des va-nu-pieds. Impossible de se faire connaître avec un journal si modeste, de huit pages par mois et un tirage si faible… Il fallait,