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Page:La Nouvelle Revue, volume 102 (septembre-octobre 1896).djvu/71

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qu’étant donné le caractère exceptionnel de son génie, Corneille ne pouvait faire autrement que de se distraire à ces bagatelles, n’étant pas encore de force à produire les œuvres colossales auxquelles il était prédestiné. Peut-être la nature, qui ne prodigue pas des dons pareils, n’entendait-elle pas qu’ils fussent compromis par des tentatives prématurées. Supposons, en effet, Horace, Cinna, Polyeucte tracés d’une main juvénile et sans expérience, incomplètement compris par une âme encore indécise, composés sans une connaissance suffisante des ressorts qui font mouvoir les grands hommes et déterminent les grands événements, écrits sous une forme flottante et mal pondérée, nous eussions sans doute sous lés yeux des essais éclatants, de beaux vers et des scènes émouvantes, mais en même temps que de faiblesses, de lenteurs, de vaine rhétorique ! Corneille, à vingt-cinq ans, n’eut vraisemblablement donné que des ébauches, et le trésor qu’il portait en lui eût été à moitié perdu ! Je crois qu’il faut considérer comme une sage disposition des facultés du poète l’heureuse erreur de ces comédies qui ont sauvegardé l’intégrité des chefs-d’œuvre futurs. En occupant la pensée du maître, elles lui ont réservé jusqu’au moment où il a été en pleine possession de lui-même, et, pour ainsi dire, jusqu’à sa majorité littéraire, le patrimoine qu’il avait mission de mettre en œuvre pour sa gloire. Il ne devait que trop, plus tard, en dissiper quelque peu dans des ouvrages inférieurs et stériles : du moins la majeure partie était-elle ainsi sauvée des imprudents essais d’une jeunesse mal assurée dans ses conceptions aussi bien que dans sa forme.

C’est bien, je crois, pour ces raisons diverses, accidentelles, personnelles et d’ordre esthétique, que Corneille a commencé ainsi sa carrière littéraire et s’est maintenu dans cette voie jusqu’à sa maturité. Et maintenant il est temps de dire que, grâce à cette loi suprême qui assure quand même, fût-ce dans les méandres où il s’égare, une œuvre féconde à faire aux hommes de génie, Corneille n’a point perdu sa peine. Ce n’est pas en vain qu’il a touché à l’art comique : en l’effleurant, il lui a donné de la vie et sans lui imprimer, à proprement parler, une impulsion décisive, sans le doter d’aucun chef-d’œuvre, il l’a conduit dans des régions jusqu’alors inconnues. Je rappelle encore que je ne parle pas du Menteur, qui est d’un autre temps, mais seulement des pièces de son début. Or l’on ne saurait nier, si sévère