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Page:La Nouvelle Revue, volume 102 (septembre-octobre 1896).djvu/777

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mères jalouses, mères douloureuses, qui n’achèvent jamais d’enfanter. Tout était permis à Maxime : toutes ses fautes étaient excusées d’avance. Il était le seul beau, le seul bon, le seul fort, promis dès le berceau aux plus rares destinées…

Je n’avais point vu Maxime et déjà je devinais en lui l’âme de la maison. Je revois sa chambre aux rideaux fleuris, sa chambre étroite et claire qu’on avait aménagée pour moi. Je couchais dans le petit lit en sapin et bambou qu’il avait quitté pour le dortoir du lycée. J’écrivais mes devoirs à la table où il avait ébauché ses premiers bâtons. La petite bibliothèque était pleine des livres qu’il avait reçus aux distributions de prix, et, sur la cheminée, des photographies le représentaient tout petit enfant, demi-nu sur un coussin avec un hochet et un collier d’ambre ; puis en robe courte, à cinq ans, perché sur un cheval mécanique, et la série continuait, allant du baby au jeune homme en passant par le collégien de huitième et l’inévitable premier communiant… Quand donc le verrais-je, ce Maxime qui allait être mon grand frère et que j’aimais déjà, sincèrement ?

Je le vis un dimanche matin, après quelques semaines mélancoliques qui avaient suffi pour étioler l’enfant menue, mais vivace que M. Gannerault avait ramenée d’Auray. Adossé au poêle de la salle à manger, les mains dans ses poches, les sourcils froncés, d’un mouvement nerveux il semblait écouter impatiemment une semonce de son père. Maxime, à dix-sept ans, avait l’air d’un homme. Une moustache brune ombrait sa lèvre fine et dure. Son menton net et arrondi à la romaine, ses joues creuses, ses durs yeux d’onyx, son front aux méplats accusés, décelaient l’intelligence et l’obstination. Et cet adolescent, droit et froid comme une lame d’épée, avait grand air à côté de son père, pauvre bonhomme doux et gauche qui s’efforçait de paraître imposant.

— Tu m’entends bien ! Ne recommence pas. Si je reçois encore une plainte de ce genre, je sévirai, je t’en préviens… Je sévirai…

Il fallait voir le demi-sourire de Maxime quand M. Gannerault passa dans la pièce voisine, répétant :

— Introduire des livres infâmes dans un lycée ! Mon fils ! Je sévirai !

Il fallait voir aussi ma marraine s’approcher de l’enfant chéri, écarter ses cheveux sur ses tempes, le baiser au front d’un indulgent baiser qui pardonnait tout…