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Page:La Nouvelle Revue, volume 102 (septembre-octobre 1896).djvu/784

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leur frisure, la frange du brassard battant leurs coudes, un frisson passait-il sous les mousselines virginales ? Ces gamins de douze ans étaient bien des gamins, mais beaucoup parmi ces filles de douze ans étaient presque femmes et leurs lèvres se plaisaient à prononcer ces mots de bien-aimé, d’union, d’amour dont elles pressentaient la volupté future, le sens terrestre, la douceur encore défendue. Mais quand nous allâmes à l’autel, je me ressouvins de tout ce que j’avais lu dans les livres, de la joie, de l’extase ineffable qu’on nous promettait. Et la communion accomplie, à me sentir si parfaitement maîtresse de moi, si calme, si tiède, j’éprouvai le sentiment d’une vague duperie, le froid d’une déception.

Beaucoup, parmi mes compagnes, pleuraient d’émotion nerveuse et les mères pleuraient comme elles ; quel sentiment faisait couler les larmes de ces femmes de trente ans dans la force de leur jeunesse mûre et qui se frappaient en secret la poitrine devant le voile blanc de leur enfant ? Piété, tendresse, regret, remords ? Combien étaient venues avec un mystère dans le cœur, amour défendu, délices du péché, espoir coupable, inavoué désir ? Douloureusement, elles se rappelaient le jour de blancheur et d’innocence, la sérénité de leurs douze ans et combien, parmi les petites fiancées de Jésus étaient prédestinées aux mêmes amours, aux mêmes fautes, aux mêmes douleurs ?

Maxime arriva pour le déjeuner. Nous avions une dizaine d’invités pour la plupart cérémonieux et roides, une douairière dévote et sa fille, un colonel d’artillerie, deux couples bourgeois, deux vieux musiciens et une seule jeune femme, Mme Estelle Laforest, dont les cheveux teints, les lèvres peintes, la toilette excentrique et indiscrète effarèrent les dames de Corhouët. Le colonel Tabat s’empressait près d’elle, mon parrain semblait hypnotisé par les grâces de cette bourgeoise légère — une des bonnes leçons de Mme Gannerault — et les autres dames, toutes laides et mûres, séchaient de mélancolie dans leur coin.

Ce fut bien autre chose à l’arrivée de Maxime, l’unique jeune homme de la société. À ce moment, Mme Laforest, assise au piano — pour faire prendre patience à nos convives — lançait d’une voix aigrelette la Sérénade d’Holmès :

Hier comme aujourd’hui, ce soir comme demain,
Je t’adore !…