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Page:La Nouvelle Revue, volume 102 (septembre-octobre 1896).djvu/783

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emphatique et plat des écrivailleurs catholiques… À l’église, un dominicain, prêchant la retraite, nous épouvantait avec l’enfer. Enfer théâtral et puéril, enfer de féerie, flammes de Bengale, fourches de carton, pyrotechnie religieuse qui ne m’effraya guère, mais qui bouleversa jusqu’à la terreur les fillettes nerveuses et faibles. Des enfants fondaient en larmes ; d’autres demeuraient stupides. Ils étaient rares, ceux qui portaient dans leurs yeux la sérénité confiante, le joyeux espoir de la foi. Et pourtant quel puissant levier posséderait l’Église pour soulever les âmes d’un tel élan vers l’infini qu’après la chute dans la réalité vulgaire cet élan fût inoubliable à jamais ! Elle allumerait dans l’ombre discrète des cœurs la lampe d’idéal qui luit jusqu’à la mort, malgré les coups de vent de la vie. Mais la poésie a déserté l’autel où officient des fonctionnaires. Le catholicisme, dans les grandes villes, n’a plus d’apôtres, ni de martyrs. Il n’inspire plus les artistes. Quelle parole vraiment divine trouverait un écho dans ces sanctuaires où tout est tarifé : la chaise où l’on prie, les cierges des noces, le drap banal des morts ; où le lucre, la haine, le mensonge éternisent leurs agitations stériles parmi le mauvais goût effroyable des Sacrés-Cœurs en plâtre peint ?

Cependant, l’encens, les fleurs, les harmonies parlaient à mes sens délicats d’enfant précoce, si Dieu n’était point sensible à mon cœur. Le matin de ma première communion, je ne me vis pas sans émotion transfigurée dans les blancheurs transparentes qui bruissaient comme des ailes autour de moi. Toute la famille était là : mon tuteur, ma marraine, quelques parents et amis des Gannerault convoqués pour la circonstance. Oh ! le clair, le gai matin de mai ! Le soleil riait aux vitraux et sur l’autel la flamme des cierges pâlissait, or atténué jusqu’à des douceurs d’étoile. Et nos lèvres chantaient le cantique d’amour :

Mon bien-aimé ne paraît pas encore…
Trop longue nuit, dureras-tu toujours ?
Rends-moi Jésus, ma joie et mes amours !…

Avec les autres, je chantais ces vers de Fénelon qui me charmaient par leur langueur profane. Un trouble se répandait en moi. Ce voile blanc, ces cérémonies, n’étaient-ce pas le simulacre des noces qui hantaient déjà nos imaginations d’enfant ? Pourquoi, quand les garçons demeuraient indifférents et raides sous