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Page:La Nouvelle Revue, volume 102 (septembre-octobre 1896).djvu/787

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l’unisson les cantiques d’actions de grâces, je sentais que ce jour était souillé. Sans cesse, je revoyais Mme Laforest sur les genoux de Maxime ; j’entendais le bruit de leur baiser… J’entrevoyais je ne sais quels abîmes de hontes mystérieuses et une noire tristesse m’envahissait peu à peu. J’avais froid dans l’âme. Vainement gémissait la voix infinie des orgues, vainement brûlaient les cierges purs dans le pur encens, le charme était rompu. Je n’avais point trouvé le céleste amour dont parlaient les prêtres, et j’avais entrevu, avec ses mensonges et ses brutalités, le coupable mystère des amours humaines.

III

— Tu peux t’habiller, ma petite Marianne. Je n’ai plus qu’à passer ma robe… Eh bien, n’est-il pas superbe ainsi, notre salon ?

— Très beau, marraine…

Mme Gannerault, en peignoir flottant, déjà chaussée, juponnée, coiffée comme pour le bal, regardait autour d’elle avec complaisance. Les candélabres brûlant haut de toutes leurs bougies égayaient d’une clarté de fête la solitude du grand salon. Ma marraine clôturait par une soirée musicale et dansante la série de ses réceptions d’hiver. Le programme était particulièrement chargé, ce soir-là : duos, soli, musique de chambre, chœurs d’élèves, jusqu’à minuit. Le concert ensuite se transformerait en un bal d’autant plus animé que les présentations seraient faites, les relations ébauchées depuis trois heures. Nous avions passé la journée à préparer le buffet — non moins chargé que le programme ! — et nous avions réalisé des miracles d’économie, car le terme d’avril allant échoir, cette soirée quasi obligatoire compromettait gravement l’équilibre du budget. Mme Gannerault était passée maîtresse dans cet art tout parisien de faire beaucoup d’effet avec peu d’argent. Nul, parmi nos invités, n’aurait soupçonné que les galantines, les viandes rôties, les salades russes avaient été préparées à la maison par ma marraine elle-même ; que les vins étaient pris à crédit et qu’un petit glacier des Batignolles avait fourni les glaces. Moi-même je m’étais levée à cinq heures pour accompagner la servante aux grandes Halles, puis au Marché aux Fleurs, et toute la journée j’avais râpé du cho-