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Page:La Nouvelle Revue, volume 102 (septembre-octobre 1896).djvu/793

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excités par la libre gaieté du souper, riaient autour des petites tables éparses dans un désordre de débandade. J’étais plus hardie que de coutume, un peu grise, embellie par cette griserie même et Francis semblait transformé. Il était galant, il était espiègle. Et sur une repartie un peu vive, oubliant le souci des convenances dont il ne se départait jamais, il mit un baiser sur mon bras nu.

Soyons sincère tout à fait. Mon indignation ne fut qu’apparente. Je ne sais quel sentiment de vanité me rendit la clémence facile. Cependant quand, revenue dans ma petite chambre, je tentai l’analyse de mes impressions, je sentis, à ma grande surprise, que j’étais émue à peine et pas heureuse du tout. Quoi ! c’était cela l’amour ?… J’étais, bien malgré moi, d’une froideur désespérante et l’image de Francis ne me donnait pas, quand je l’évoquais, cette secousse au cœur, cette émotion lancinante qu’il me semblait nécessaire d’éprouver.

Pauvre Francis ! Si je fus avec lui ingénument coquette et provocante sans m’en douter, je m’efforçai de l’aimer de la meilleure foi du monde. Malheureusement, ni son caractère paisible, ni sa lourde personne trop bien portante, ne favorisaient l’exaltation sentimentale qu’il m’eût été si doux de ressentir. Aussi quand je revis M. Perclaud, à le trouver si placide, avec, dans les yeux, je ne sais quelle béate fierté, j’éprouvai un sentiment de colère, de honte, de ridicule infini. Décidément, je n’avais pas de chance et mon « premier amour » avortait dans la banalité la plus désolante. Francis ne comprit pas grand’chose au changement qui s’opérait en moi. Il dut se dire que j’étais une gamine capricieuse. Mais, sans grand effort, sans souffrance, il se résigna aux seconds plans.

Ma toilette achevée, mes gants mis, un œillet blanc piqué à la ceinture de ma robe de tulle, je restais pensive, interrogeant l’avenir. Que me réservait-il, cet avenir plus mystérieux pour moi que pour tout autre ? Mais la jeunesse vit dans le présent et le présent, pour moi, c’était une nuit de fête, la joie de la parure, l’espoir de triomphes que je ne précisais pas.

IV

Une heure après, dans le salon déjà plein, j’étais assise entre mes deux amies, Laurette et Madeleine. Nous nous groupions