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Page:La Nouvelle Revue, volume 102 (septembre-octobre 1896).djvu/792

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mystique amour, livre de vie, livre de mort qui tue dans les âmes la volonté de l’action et les stupéfie comme un narcotique. L’odeur du cloître m’enivra. Je vécus tout un hiver sur les confins de la réalité et du rêve, et je reçus du plus sévère des maîtres l’éducation même de l’amour.

Mon confesseur s’en effraya. Il m’interdit ces méditations, ces lectures, ces minutieuses pratiques qui occupaient et distrayaient mon cœur. Il voulut me ramener à la vie régulière, aux étroits devoirs, à cette médiocrité de sentiment qui m’avait révoltée naguère… Alors s’écroula l’édifice de ma vaine religiosité… Le ridicule des Sacré-Cœurs en plâtre, la laideur des monuments modernes, la niaiserie de la littérature catholico-sentimentale, m’apparurent tout à coup. Le désir de vivre la vie refleurit en moi avec les premiers bourgeons de mars, avec le soleil, avec le flux des sèves.

Et de la chrysalide de l’adolescente s’évada une femme que je ne soupçonnais pas. Elle respirait, affranchie de l’hiver et de la tristesse. Elle devinait la puissance de son sexe ; elle se révélait sa propre beauté… Ce charmant printemps de 188… qui poudrait d’un vert si délicat la grisaille des hautes branches, j’en sens remonter à mon cœur la lointaine ivresse. Riche de l’inconnu et de l’espoir que contenaient les années proches, je savourais avec des gaietés d’enfant les petites vanités de la parure. Chaque ajustement imprévu m’enorgueillissait comme les galons d’un nouveau grade. Et quand je marchais avec ma marraine, sur les trottoirs lavés des tièdes pluies d’avril, je sentais errer sur moi, hardi et doux, le regard détourné des hommes.

C’est à cette époque que je rencontrai, dans plusieurs soirées intimes, sortes de demi-bals blancs, un brave jeune homme, un peu lourd, point spirituel et que je croyais malheureux et mélancolique. Francis Perclaud m’avait invitée à plusieurs reprises ; il avait ébauché de vagues compliments et tenté, pendant deux ou trois mois, un flirt innocent et timide. Assurément, ce pauvre garçon, qui est aujourd’hui substitut en province, n’avait rien de bien dangereux. Mais j’aimais trop l’amour pour n’en pas chérir l’apparence et, de bonne foi, la petite sotte passionnée se mit en devoir d’adorer Francis… Niaiserie de la dix-septième année !… Il est encore présent à ma mémoire, le soir où je lus dans les yeux du jeune homme l’émotion passagère d’une tendresse, qui était peut-être un inconscient désir. Les femmes animées, les hommes