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Page:La Nouvelle Revue, volume 102 (septembre-octobre 1896).djvu/795

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mante nous a été réservée, à mon insu. Mme Laforest a eu la bonne pensée de nous amener un artiste, inconnu encore parmi vous, mais dont vous saurez bientôt par cœur les œuvres charmantes. Votre modestie ne doit point s’effaroucher, monsieur Rambert.

Dans le silence qui s’était fait, apaisant même le bruissement ailé des éventails, Mme Laforest s’était levée et j’aperçus près d’elle un jeune homme de trente ans, ni grand ni beau, portant les cheveux châtains coupés courts, la barbe en pointe, la moustache en croc, un monsieur pareil à tous les messieurs de son âge et de son monde. Il semblait à la fois ennuyé et timide. C’était Jacques Rambert, le compositeur.

— Ciel ! dis-je à Laurette. Il va nous jouer quelque simili-menuet, du Mozart en toc !

— Pas très chic, le compositeur ! fit Laurette. Il ne porte pas souvent le frac, ça se voit.

— Pourquoi riez-vous ? dit Madeleine avec douceur. Il a peut-être beaucoup de talent, ce jeune homme. Moi, je le trouve assez gentil.

Mme Laforest avait déroulé un cahier de musique manuscrite qu’elle posa sur le piano. Rambert avait pris son violon. Mme Gannerault annonça :

— Scènes populaires. Le crépuscule des moissonneurs.

On écouta.

C’est le soir, en août. Le couchant rougit les meules. La neige d’or des nuages se fond dans un ciel verdissant. La terre, encore brûlante et craquelée, exhale une odeur vivante et la sauterelle, âme des blés, jette sa note grêle entre les chaumes. Les moissonneurs reviennent par les sentiers d’herbe et de pierres, entre les champs rasés. Et à pleine voix, à l’unisson, ils chantent une légende très naïve, très ancienne, qui monte dans la sérénité du soir.

— La complainte de la marée ! annonça ma marraine.

Un chant de pêcheur breton, raccommodant ses filets sur la grève, en face du flux montant de l’Atlantique. Je ferme les yeux. Et des brumes de la lointaine enfance émergent des paysages de landes et de grèves, les falaises de Quiberon, monstres de granit qui semblent dévorer les vagues engouffrées dans leurs cavernes, le calme petit port de la Trinité, la plage de Carnac, hérissée de chardons bleus, si blonde, si désolée. Les petites