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Page:La Nouvelle Revue, volume 102 (septembre-octobre 1896).djvu/801

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parce que j’aime en vous la naïveté, si intelligente, de vos dix-sept ans.

Avant que j’aie pu répondre, il s’était mis au piano.

— Je vous apporte Lohengrin. Il y a un rôle pour vous : Ortrude.

— Qui est-ce, Ortrude ?

— Une méchante femme… qui ne vous ressemble pas…

— Je fis la moue…

— Vous aimeriez mieux chanter Elsa.

— Elsa ?

— La princesse de Brabant, l’adorable Psyché du Nord, l’amante virginale du Chevalier au Cygne… Tant pis pour les contraltos graves !

— Mais ça m’ennuie de chanter les méchantes femmes, les duègnes et les belles-mères.

Il se mit à rire :

— Je ferai un drame lyrique où l’amoureuse sera un contralto grave… Ah ! si vous vouliez entrer au théâtre !

— Je n’y pense guère… Et puis, ma marraine n’y consentirait jamais.

Il joua négligemment les premières mesures du duo du second acte… Puis, s’interrompant tout à coup :

— Oui, je veux faire un drame lyrique et je rêve un rôle de femme — un rôle noble et tendre — que vous puissiez chanter.

— Ma voix vous plait…

— Votre voix ?… Elle ressemble à vos yeux… Elle est profonde, sombre et veloutée… Ah ! j’en suis obsédé ! dit-il en tournant violemment les pages de la partition.

Je restais interdite ! M. et Mme Gannerault faisaient un whist avec M. Laforest, sous la lampe, à l’angle opposé du salon. Par la fenêtre ouverte, le roulement des voitures venait jusqu’à nous, mêlé aux frissons de la nuit sans lune, aux arômes du jardin… Un héliotrope fané mourait dans un vase, avec un parfum de chaude vanille… J’étais émue à pleurer.

— Écoutez c’est Elsa qui chante au balcon, pendant qu’Ortrude et Telramund méditent leur vengeance… Les lueurs de fête s’éteignent dans la Kemenate et sous la claire lune du Nord, la vierge évoque le sauveur aux armes d’argent, venu des mers lointaines.

D’une voix faible et souple, il murmura la divine phrase d’Elsa,