soir me semblait effeuiller un des jours les plus radieux de ma jeunesse.
Un soir, Rambert se présenta chez nous et, dès l’étreinte de nos mains, je sentis que nos rapports d’étrangers sympathiques s’étaient transformés en rapports tout autres que je ne savais définir… Il avait apporté les lieds de Schumann, les mélodies de Grieg, la partition de Lohengrin… Une impatience d’enfant me prit de déchiffrer cette musique toute nouvelle pour moi et qui m’était révélée par l’amour, au moment où j’étais capable enfin de la comprendre. Mais Rambert m’arrêta :
— Et l’air d’Amadis ? Vous oubliez vos promesses ?
Je dus me mettre au piano, un peu tremblante. Il m’écoutait comme un juge sévère à la fois et amusé.
— Allons ! du courage, mademoiselle Marianne… Ce n’est pas long… Six vers !… des vers de Quinault !…
Bois épais, redouble ton ombre !
Tu ne saurais être assez sombre,
Tu ne peux trop cacher mon malheureux amour.
Je sens un désespoir dont l’ardeur est extrême,
Je ne dois plus voir ce que j’aime !
Je ne peux plus souffrir le jour.
Je chantai tant bien que mal, d’une voix qui s’affermissait à mesure qu’elle s’élevait. Ma marraine, anxieuse, me faisait de petits signes. Rambert déclara :
— La voix est fort belle, étendue, vibrante… Mais, mademoiselle, l’expression n’y est pas, non, pas du tout !
Je le regardai :
— Évidemment… Que faites-vous du « désespoir dont l’ardeur est extrême » ? Un petit chagrin bien tranquille, une mélancolie bien résignée… Pensez donc, mademoiselle, que le monsieur qui va se cacher dans les bois épais « ne peut plus souffrir le jour !… » Il voudrait s’enterrer !… C’est très pathétique.
Il ferma le cahier et ajouta en souriant :
— D’ailleurs, j’aurais été fort surpris — et désagréablement surpris si vous aviez compris cette sorte de pathétique…
— Pourquoi cela ?
Il baissa la voix.
— Parce que vous ne pouvez pas, vous ne devez pas avoir l’expérience de ces désespoirs « dont l’ardeur est extrême… » et