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Page:La Nouvelle Revue, volume 102 (septembre-octobre 1896).djvu/804

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livrée de ces hantises qui me faisaient rougir ; délivrée de ces orgueils, de ces colères, de ces désirs indignes de moi et qui me saisissaient devant ma destinée. J’aime ! mon cœur est jeune, mon cœur est pur ! Je chante avec Elsa le cantique de reconnaissance ! Qu’il soit béni, celui qui est venu vers moi !… »

Mais après avoir rêvé, pleuré, chanté, vécu deux jours et deux nuits dans une folie d’allégresse, je pensai qu’il fallait avertir ceux qui remplaçaient ma famille. Je leur devais bien cette marque de déférence, ne doutant pas que Rambert n’eût pris ma stupeur muette pour un entier consentement.

Quelle émotion ! et quel effort je dus faire quand, assise sur les genoux de mon tuteur, comme une petite fille, j’avouai le grand secret de mon amour. L’adorable bonté du père Gannerault se manifesta spontanément :

— Marianne ma chérie ! Est-ce possible ? Rambert t’aime et tu aimes Rambert !

— Si je l’aime… Ah mon parrain… Je l’aime tant que je n’ose vous le dire.

— Tu as bien fait d’être confiante… Ah les filles, les filles ! Comme elles savent bien filer leurs amourettes sous le nez des vieux papas aveugles et sourds… Alors, comme cela, mademoiselle, vous n’entrerez pas au couvent ?

Il reprit d’un ton plus sérieux :

Ma petite Marianne, cette grave circonstance me permettra d’avoir avec toi un entretien qui doit rester secret. Si vraiment Rambert veut t’épouser, nous le mettrons dans la confidence. S’il se dédit, qu’importe ! Tu as l’âge de connaitre ta situation en ce monde et…

— Mais, mon parrain, pourquoi M. Rambert se dédirait-il ?

— Parce que tu n’as pas de dot, ma petite amie, et que ta pauvreté rend plus ombrageux les épouseurs qu’effraye toujours l’irrégularité de la naissance.

— Stupéfaite, je le regardai

— Marianne, dit-il avec émotion, Dieu nous garde de juger les morts. Ta mère était la pureté, la loyauté, la bonté mêmes. Un homme a abusé de son inexpérience. Tu n’as pas de père, mon enfant…

Je comprenais… Toute pâle je demandai :

— Je n’ai pas de père légal, soit. Mais celui dont vous parlez…