Aller au contenu

Page:La Nouvelle Revue, volume 102 (septembre-octobre 1896).djvu/805

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Il est mort… Ton aïeul dont tu dois ignorer le nom — a voulu réparer un abandon inique par l’offrande dérisoire de quelques milliers de francs. Ta mère, malade et désespérée, n’avait aucun moyen d’assurer ton avenir. Elle vint à moi, ton parrain, son ami dès son enfance, et je lui conseillai d’accepter… Tu devines le reste, Marianne. Tes souvenirs confus te représentent encore le couvent d’Auray, la vie cachée de cette malheureuse femme qui t’a confiée à nous en mourant… Ah ! ma fille, que cette révélation n’ébranle pas le culte que tu as voué à sa mémoire… Elle a tant aimé, tant expié, tant souffert !

Je pris ma tête dans mes mains… Chère maman ! Dieu sait que rien ne prévaudrait contre le tendre respect que je gardais pour elle. L’auréole d’un amour tragique et douloureux embellissait sa beauté maladive, sa grâce touchante que mon souvenir ressuscitait. Plus que jamais je la chérissais dans sa tombe avec le poignant regret de n’avoir pu grandir près d’elle et réparer, à force de tendresse, l’injustice de son destin. Mais au fond de moi germait une secrète colère contre ce père dont j’ignorais le nom, ce père dont je n’avais reçu ni soins, ni amour, sauf le dangereux héritage du tempérament et des instincts. Car je pressentais que je devais lui ressembler plus qu’à ma faible et douce mère. Il m’avait transmis ces yeux de violette, ces cheveux de ténèbres, cette ardeur du sang qui se révélait en moi dès l’enfance. Et l’ignorance et l’impuissance de connaitre le mystère du passé, le drame dont j’étais sortie, la honte qui avait plané sur mon berceau, dominèrent les émotions récentes, les heureuses émotions de mon jeune amour. Je fondis en pleurs que mon tuteur essuya paternellement en me répétant qu’il fallait être courageuse et confiante, que mon bonheur était son plus grand souci.

— Maxime me donne si peu de joies fit-il avec tristesse.

Il me serrait encore dans ses bras quand sa femme entra toute surprise de me trouver baignée de larmes. En quelques mots, il la mit au courant de la situation ; elle eut un cri :

— Rambert veut épouser Marianne. Ah ! quelle chance… Voilà un parti inespéré. C’est ça qui va relever la maison !

Et se tournant vers moi…

— Il aurait dû s’adresser à nous, ton Rambert. Ç’eût été plus correct. Il faut que je lui écrive.

— Marie ! Marie ! fit M. Gannerault, n’allez pas si vite en besogne. Il faut, avant de donner notre consentement, réfléchir,