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Page:La Nouvelle Revue, volume 102 (septembre-octobre 1896).djvu/85

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et Pompée. C’est la pleine éclosion de son âme, l’épanouissement de sa gloire. Il vit sur les cimes, avec Eschyle et Sophocle, dans l’azur, dans le rayon. Pendant six années consécutives cette période se poursuit sans qu’il soit un instant distrait de la tragédie.

Tout à coup, au milieu de cet essor, voici un fait singulier : ce maître souverain qui, de triomphe en triomphe, est devenu l’honneur de son siècle et de la patrie française, revient pour une heure, en pleine maturité — et cette fois avec toute son énergie — à la muse de ses premiers jours. Il écrit le Menteur au lendemain de Pompée et à la veille de Rodogune. Lui-même en est surpris : « On aura quelque peine à croire, dit-il en parlant de Pompée et du Menteur, œuvres de 1641 à 1642, que ces pièces soient parties toutes deux de la même main. »

Quelles ont été les causes de cette rapide et brillante aventure ? Serrons la question de près. N’est-ce qu’une fantaisie, un regret — très humain d’ailleurs — des horizons d’autrefois ? Est-ce, comme il l’insinue dans sa préface, qu’il eut considéré l’abandon définitif du genre comique comme une espèce d’ingratitude ? est-ce qu’il a prétendu faire voir, étant désormais mieux armé, qu’il n’était pas moins habile dans la comédie que dans le drame ? ou bien a-t-il été tout simplement séduit, en lisant la pièce d’Alarcon, par le sujet du Menteur, comme autrefois par le Cid de Guilhem de Castro ? Je crois, à vrai dire, qu’il y a eu dé ces quelques divers éléments dans la décision soudaine qu’il a prise de livrer cette dernière bataille : réminiscence romanesque et de sentiment, désir de ne point paraître désavouer les succès de ses débuts, sympathie pour un agréable scénario : mais, au fond, j’estime qu’il a été dominé par l’irrésistible instinct qui pousse un grand homme, quel qu’il soit, à donner toute sa mesure dans un ordre d’idées qu’il a effleuré, et à dire victorieusement son dernier mot. C’est une tentation à laquelle un tempérament d’artiste ne résiste jamais : Corneille ne se dissimulait point qu’il n’avait pas atteint son idéal dans ses comédies de jeunesse, et il a voulu, assuré désormais de son style et fort de son expérience, les concentrer dans une œuvre digne de lui. Explorateur passionné des territoires de l’art, il pressentait, au delà du champ parcouru de Mélite à l’Illusion, et où il avait, en définitive, tourné dans le même cercle, il devinait un espace inconnu. Bien que voué désormais à la tragédie, il gardait en lui la noble curiosité de la région