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Page:La Nouvelle Revue, volume 102 (septembre-octobre 1896).djvu/84

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leurs déclarations les plus violentes, on ne retrouve pas les élans de la passion. Ce ne sont que des marionnettes gracieuses, disant parfois quelques admirables vers parmi des tirades vides. Il leur manque aussi cette faculté de « brûler les planches », comme on dit au théâtre ; ils ne dépassent point le badinage. Ils ont de la bonne humeur sans gaieté communicative : c’est tout au plus si l’on sourit à les entendre. Rien ne palpite sous leur masque ; ils n’ont pas de physionomie en saillie qui se grave dans la mémoire. Quand, à toute force, le poète veut faire rire, il va chercher le Matamore sur les tréteaux du temps ; on sent qu’il se bat les flancs pour amuser le public ; les exploits fabuleux et les tirades boursouflées de ce fantoche relèvent des farces populaires :

Je dépeuple l’État des plus heureux monarques,
La foudre est mon canon, les destins, mes soldats ;
Je couche d’un revers mille ennemis à bas…

On est là sur le Pont-Neuf : Corneille n’a risqué qu’une seule fois cet intermède ; partout ailleurs sa verve agréable et fine ne parvient pas à être franchement comique et le spectateur reste froid. Le poète était né pour nous subjuguer par les sentiments sublimes et les passions héroïques, pour ressusciter les époques et les hommes illustres, et non pour nous divertir. Disons en passant que, dans ses tragédies, il ne sait pas non plus nous attendrir ; il suscite en nous les plus hautes émotions de la nature humaine, mais son fier génie n’a pas plus le don des larmes que celui du rire. Sa pensée nous emporte sur les cimes où l’homme admire et palpite, mais sans pleurer.

VIII

Nous avons parcouru la série des comédies de sa jeunesse. Il touche à sa trentième année. Arrivé là, il cède enfin à l’inspiration supérieure qui était en lui. Il change de voie, il semble avoir oublié l’art comique ; il entre avec une puissance incomparable dans sa légitime carrière ; il n’était qu’un homme d’esprit, il devient le grand Corneille. Il accomplit un prodigieux enfantement ; après Médée, c’est le Cid, puis Horace, puis Cinna, Polyeucte