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Page:La Nouvelle Revue - 1898 - tome 114.djvu/312

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YELE

Mœurs Jugo-Slaves


Les étoiles luisaient encore, quoiqu’il fut quatre heures du matin, au-dessus d’un coin de Raguse qui semblait s’isoler du reste de la ville. L’église de Saint-Blaise, la tour de l’Horloge et l’arête crénelée du palais municipal, émergeant du plan des toits et des terrasses mornes, profilaient leurs silhouettes dans une coupole lointaine. Les femmes des environs, apportant au marché des paniers de concombres, de figues et de pastèques, secouaient le reflet de leurs lanternes sur les dalles polies du Stradone, entre deux lignes hautaines de maisons grandies par l’obscurité. Elles causaient à mi-voix, laissant perler le babil de la fontaine sculptée par Onofrio de la Cave depuis des siècles mêlant à tout son imperturbable bonhomie, sous son ciselé de pure Renaissance.

Derrière l’église, une servante poussa la devanture d’un petit cabaret, et quelques clients, silencieusement sortis des ruelles avoisinantes, s’attablèrent, guettant le café chaud qui sortirait du fourneau. Parmi des portefaix en costume levantin, le menu peuple des passagers du premier bateau, des paysannes chavirant les tabourets de leurs cottes pesantes, un vieillard, de mine à la fois benoîte et rusée considérait la lampe, en caressant un agneau sur ses genoux. Plusieurs le saluèrent du geste. C’était le plus fidèle habitué du cabaret, où il commençait régulièrement sa journée d’industries inoffensives et subtiles ; tantôt sacristain-amateur, quêtant à domicile pour les paroisses de Raguse, quand c’était la fête de quelque Saint populaire ; tantôt mettant en loterie un produit des basses-cours ou des étables du voisinage, qu’il faisait tou-