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Page:La Nouvelle Revue - 1898 - tome 114.djvu/313

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cher de porte en porte aux enfants, pour que la ménagère lui prit un billet d’un sou.

Un groupe de Canaleses[1] entra ; elles étaient fatiguées et s’assirent pesamment. Le regard doucement insignifiant du sacristain-amateur s’arrêta sur elles. Mais sitôt après il le détourna vers la lampe, et l’y tint fixé, comme si le café devait tomber du plafond.

Elle était pourtant bien jolie, celle qui le frôla pour gagner une chaise vers laquelle l’attiraient du doigt deux vigoureux compagnons. Une coiffe plissée, par-dessus le béret plat rouge et or, semblait, autour de son frais visage, le feston d’un délicat coquillage ; ses cils remuaient doucement sur de grands yeux surpris et comme chargés des vapeurs aromatiques du matin.

— « Viens, Yele, fit l’un des hommes. Nous attendrons ici le jour. Comme tu es fatiguée ! » — Il détira lui-même des membres vigoureux et passa la main sur une chemise neuve, puis sur son costume de drap bleu fin, qui, de la tête aux pieds, semblait encore luisant des derniers apprêts du tailleur.

Elle chercha à sourire, mais ses lèvres tremblèrent.

— « Bois, reprit-il, en lui tendant la tasse brûlante, et si tu veux — il ajouta ces mots d’une voix plus basse — je t’offrirai le cadeau des fiançailles…

— Mais pas ici, Niko, je pense ?

— Non certes, dit l’autre gars. Ma vieille cousine Djive est prévenue. C’est une femme de bien, qui demeure dans la Calle larga. Elle sait que vous avez à vous parler. Je vous emmènerai chez elle, et vous vous expliquerez avec Niko.

Elle se mit à boire, penchant sur la tasse ses traits réguliers, et avança le coude sur la table, avide de recueillement et de chaleur.

C’est la veille au soir seulement que Yele s’est décidé.

Seule, la vieille tante qui lui tient lieu de mère sait qu’elle a quitté sur le tard leur maison de Mihanici, pour éviter les passants bavards et se trouver avant l’aube au rendez-vous que lui a donné le riche Niko. Niko, fils de paysan comme elle, mais depuis vingt ans absent du village, a pu amasser, comme beaucoup de ses compatriotes, un pécule en Amérique ; aisé, robuste encore, assuré de

  1. Femmes de la vallée de Canali, entre Raguse et les Bouches de Cattaro.