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Page:La Nouvelle Revue - 1898 - tome 114.djvu/315

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Comme elle s’était bien habillée, ce jour-là, de sa plus belle broderie de soie, laissant passer des boucles folles sous le béret, empesant le mouchoir coquillé avec soin, pour qu’il ne fût pas dit en vain que les Canaleses de Mihanici sont de jolies fées !

Ils s’étaient retrouvés dans le champ de Kostrava, devant la haie des mûres. Et comme ils se sentaient beaux tous deux, ils se le dirent du regard.

Tu en as parlé à quelqu’un, fit-il, en suivant une boucle qui riait toute seule.

— À personne.

— Es-tu de parole et veux-tu que nous nous fiançions ?

— Je serai de parole, si la tienne est bonne.

— Elle l’est.

— Alors, viens chez ma vieille tante, pour que vous vous expliquiez. Et je le veux bien ainsi — si c’est le destin de Dieu.

Yele rouvrit les yeux. C’est que l’histoire était finie. Ils ne s’étaient plus revus : elle l’avait attendu en vain. Depuis, elle endormait son chagrin en travaillant la terre avec plus de force, évitant de regarder les hommes trompeurs.

Maintenant Niko la couvrait de son regard tranquille. — Voici le jour, disait sa voix — la même qui avait su s’insinuer et l’attirer à ce rendez-vous, mi-vaincue. Et il ajouta :

— Viens chez Djive ; j’ai à t’offrir le petit cadeau.

Ils enfilèrent une ruelle serrée entre de hautes maisons et patientèrent quelques instants devant une porte massive, dont le marteau résonna sèchement sous la main de l’ami de Niko. La vieille Djive parut, à la plus haute fenêtre, au-dessus d’un couple de draps qui se balançaient le long des cordes transversales ; une grimace obligeante leur fit signe qu’elle allait ouvrir.

Yele s’engagea la première dans un escalier de pierre, très raide, frôlant au passage la margelle armoriée d’un de ces puits qui ornent l’atrium de toutes les vieilles maisons aristocratiques ragusaines. Sur le dernier palier, Djive les attendait, la main au loquet de la porte entr’ouverte.

Fala bogu,[1] fit-elle… La djevoika a fait bon voyage. Je vous ai préparé un petit café. — Et comme elle s’effaçait devant

  1. Littéralement : Merci à Dieu.