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Page:La Nouvelle Revue - 1898 - tome 114.djvu/314

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trouver une djevoika[1] parmi les plus jolies filles de la contrée, il est revenu depuis peu, pour prendre femme et se bâtir une maison sur quelqu’une de ces croupes boisées d’oliviers où filtre, en toute saison, la tiédeur de la vallée et qui reçoivent l’ombre des montagnes. Il l’a connue, en dansant le Kolo à Grudda, l’a sue sage et laborieuse avenante, il en a pu juger, et le lui a dit. C’est pourquoi il l’a priée de venir se lier à lui, par la parole et par le cadeau, à Raguse où les filles de la campagne se promettent à leurs amoureux, avant de leur donner la main devant les gens du village.

Elle a marché toute la nuit, sous sa bure bleue d’hiver. Mais ni l’air frais, ni le parfum des plantes n’ont desserré de son front le cercle d’inquiétude et de détresse.

C’est qu’elle n’aime guère le riche Niko et craint qu’il ne soit un maître fier. C’est aussi qu’elle pense à l’autre et que, fille de bien, elle ne se sent déjà plus libre de cœur et en loyauté.

L’année passée, comme elle brodait, dans le champ de Kostrava, en chantant :

Es-tu belle, ma broderie
Garde-toi de te déchirer,
Que t’use la pauvre fille
Qui n’a plus père ni mère…

Voilà que passe Mato Kovacic, le fusil sur l’épaule, fredonnant aussi :

— Dieu te garde, jeune fille, dit-il en s’arrêtant net.

— Puisse-t-il te donner du bien, jeune homme. D’où viens-tu ?

— Je vais à la chasse (et il tirait sa moustache d’un air malicieux) ; je vais chercher un oiseau— sauvage ou apprivoisé.

Elle avait souri finement et répondu :

— Je te souhaite plutôt d’en prendre un sauvage. Celà ferait ton souper.

— Bah ! le sauvage est de peu de durée ; l’apprivoisé serait pour la vie.

— Ne te vante point ainsi, lui disait-elle, se sentant subitement heureuse et prête à chanter longtemps.

— Pourquoi pas ? Je suis jeune, et il ne tient qu’à toi que nous nous fiancions.

Elle avait ri, alors, et ne pouvait plus s’arrêter, tant qu’il dût partir, lui arrachant la promesse de la revoir la semaine suivante.

  1. Fiancée.