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Page:La Nouvelle Revue - 1898 - tome 114.djvu/689

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Par égards pour M. de Montdauphin, il se retint d’ajouter : « Et te rendre plus heureux ». Jacques y pourvut en ripostant :

— Faut-il te le dire ? Moi aussi parfois je me suis demandé si, t’ayant pour mari, ma femme n’aurait pas fait deux bonheurs.

— Savoir…

Un instant ils demeurèrent pensifs. Ce fut Jacques qui rompit le silence.

— Aurait-elle donc raison, la vieille sagesse qui dit : « Il n’y a pas de mauvais maris ni de mauvaises femmes, mais seulement des gens mal mariés » ?

— Absolument. Et si il y a tant de gens mal mariés, c’est que, la providence mit-elle dans notre chemin la fameuse moitié de poire, c’est infailliblement celle d’une autre poire que nous désirons. Toujours nous aimons pour ce qui nous fera souffrir.

— Pas gai, ce que tu dis là.

— La vie ne l’est point… à vivre, car à regarder, il n’est spectacle plus passionnant.

— Surtout lorsque, comme toi, on s’en fait de la gloire.

— Et la rosserie des femmes étant le thème inépuisable de nos variations d’amour et de copie, nous serions mal venus à leur reprocher d’en avoir, n’est-il pas vrai ?

— Oui, répondit Jacques, que mordait un remords… Et le mal celles là nous font, ce sont les honnêtes femmes qui le paient.

— Que parles-tu de mal ? reprit Pierre avec une affectation de légèreté. Elle ne m’en a fait aucun, puisque cette mésaventure, qui n’est fâcheuse que sur le moment, a été le caillou sur lequel a déraillé ma vie… C’est donc à elle que je dois d’être devenu ce que je suis, dont je lui rends grâces de tout mon cœur.

— Et tu es heureux ?

— Pas autant que l’homme sans chemise de la fable persane… Il y a toujours bien une paille… mais cela ne vaut pas la peine d’en parler.

Pierre Larive n’a pas dit quelle est cette paille : c’est que jamais il ne pardonnera aux mânes mêmes de la belle créature qui fut sa femme de n’avoir pas su se faire aimer d’elle. Aussi l’intimité d’antan ne se renouera-t-elle point avec Jacques de Montdauphin.

Marie Anne de BOVET.