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Page:La Nouvelle Revue - 1899 - tome 116.djvu/576

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LA NOUVELLE REVUE

truc, j’imagine que les amateurs en seraient choqués ; leur impression serait incomplète ; ils éprouveraient l’effet d’une sorte de gaucherie interne… Ce roman me donne une sensation analogue ; et il me fait comprendre mieux encore que je n’avais pu le réaliser jusqu’à présent, combien les œuvres d’imagination ont besoin d’être combinées pour nous plaire… nous ! Je veux dire : moi, car le goût change, les habitudes d’esprit changent, tout change et le roman aussi ; peut-être que vos lecteurs ne seront point de mon avis et qu’ils verront dans l’œuvre anonyme que vous leur soumettez une manière nouvelle de traiter… j’allais dire un vieux sujet, mais ce ne serait pas tout à fait juste ; le sujet est nouveau ; la politique mêlée à l’évolution psychologique d’un jeune garçon, cela ne s’était pas traité encore ; on nous a donné jadis dans Sibylle l’histoire d’une âme de petite fille en proie à une crise de philosophie religieuse ; depuis, je ne me souviens pas qu’aucun auteur ait rien tenté de semblable.

Le héros, cette fois, ne meurt point ; au contraire, il apprend à vivre. Tandis que Sibylle est séparée de celui qu’elle aime et achète son retour à la foi au prix de sa vie à elle, Étienne de Crussène se rapproche, en se ralliant au libéralisme, de la femme qu’il a choisie et qui, d’ailleurs, est en tous points, digne de faire son bonheur. Il a seulement été la chercher bien loin et c’est ici que je vais, une seconde fois, quereller l’auteur du « Roman d’un Rallié. » Veut-il nous montrer en la personne de Mary Herbertson une Américaine d’élite, comme il en existe sans doute quelques-unes, mais… pas plus ? Veut-il dire que son héros ait eu la chance inespérée en se promenant à travers les États-Unis, d’y découvrir cette plante rare ?… alors j’accepte le type et la rencontre. Dans tous les pays le profil virginal peut atteindre, en quelques exemplaires uniques, les approches de la perfection et il est intéressant de savoir comment, Outre-mer, ces profils exceptionnels se cisèlent. Bourget et ses imitateurs nous parlent trop souvent de la Professionnal Beauty Newyorkaise ; il est vraisemblable que toutes les femmes, là-bas, ne tournent pas autour de cet idéal. Mary Herbertson n’est pas une Professionnal Beauty, mais elle a une belle âme, forte et droite, ce qui vaut mieux : elle se détache bien d’ailleurs sur cet horizon de Washington, très reposant, comparé aux perspectives enfiévrées de Chicago ou de New-York. Notre auteur, madame, paraît connaître fort bien Washington : on dirait qu’il l’a habité ; serait-ce en qualité de secrétaire d’ambassade ?… je serais porté à le croire parce qu’il dit, en passant, du mal des diplomates. Mais j’oubliais… que cela ne me regarde pas.

Ainsi Mary Herbertson est une Américaine d’élite. C’est là ce qu’on ne prend pas assez soin de nous expliquer. Le lecteur se demande avec inquiétude si l’on n’a pas prétendu en faire un type général, une thèse