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LA NOUVELLE REVUE

Il alla du même pas jusqu’au perron, secoua la neige de ses chaussures contre la dernière marche et sonna. La seule chose qui éveillait toujours dans le tréfonds de son âme un imperceptible malaise, un frissonnement aussitôt réprimé, c’était ce grand lion de granit sculpté sur la façade avec son glaive et sa mine altière. L’animal héraldique représentait pour lui tout l’inquiétant mystère des âges disparus, la faucille d’or des Druides et les armures des Croisés.

Dans le vestibule, il rencontra Éliane qui passait, une partition sous le bras. En l’entendant demander le Marquis d’un ton qui semblait habitué au commandement, la jeune fille se retourna et le toisa avec une suprême insolence. Vilaret mit son lorgnon et dirigea sur elle un regard qui la glaça. Elle flaira aussitôt un ennemi. Lorsque Vilaret eût été introduit chez Étienne, elle redescendit et demanda au domestique le nom du visiteur. Ce nom ne lui disait rien. Un député ; … ce devait être pour quelque affaire d’intérêt local, une prise d’eau ou un chemin vicinal. Cependant Éliane demeura nerveuse et se mit à tournoyer dans sa chambre touchant à tout et repassant à chaque instant devant son miroir pour voir si son visage portait l’empreinte de ses soucis. Ils étaient nombreux, ses soucis bien que provenant d’une source unique. Sa stratégie était décidément en défaut. Elle avait compté tout d’abord prendre Étienne d’assaut. Puis elle s’était résignée à un siège en règle ; elle se voyait réduite maintenant à une sorte de blocus des moins effectifs. Persuadée, dès le premier jour que sa beauté avait fait une vive impression sur le jeune homme, elle n’avait pas tardé à se rendre compte de son erreur. Il était avec elle exactement le même qu’avec sa sœur, aussi aimable, aussi empressé dans la forme et aussi parfaitement indifférent dans le fond. Exprimait-elle le désir de faire une promenade, Étienne priait Madame d’Alluin de se joindre à eux. Celle-ci refusait de temps à autre dans le désir de favoriser les tête-à-tête. Le marquis n’en témoignait aucun dépit et l’on pouvait voir au retour que le tête-à-tête n’avait rien produit.

Éliane avait étalé toutes ses séductions, de jolies toilettes, les coiffures les plus sentimentales : elle avait fait de l’aquarelle, joué du Wagner et chanté du Gounod, brodé un chemin de table, lu du Lamartine et du Gyp. Un soir elle avait souhaité de danser. Étienne s’y était prêté en vrai automate. Une autre fois elle avait demandé en minaudant une cigarette qu’il lui avait aussitôt offerte sans même en paraître surpris. Les premiers jours, le voyant si