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LA NOUVELLE REVUE

un dernier assaut. Les bois, les herbes, les nuages, les roches antiques lui ont chanté la chanson des longs passés mystérieux et des avenirs troubles. « À quoi bon, disaient-ils, en leur poétique langage, à quoi bon vouloir changer la face des choses et le cœur des hommes si ce n’est point pour rendre les unes plus belles et les autres meilleures. Or qu’y a-t-il de plus beau que nous autres, œuvres du bon Dieu, vêtues des parures que son soleil nous confectionne ? Et qu’y a-t-il de meilleur que le cœur de l’homme simple, dépourvu de science mais plein de droiture et confiant en son créateur ? »

« Et puis, disaient-ils encore, tu ne jouiras plus de nous quand tu auras tourné tes pas vers la grande route empierrée. En vain voudras-tu revenir vers nous, les compagnons de ton enfance, les confidents de ton adolescence. Soucis et labeurs auront vite fait de toi un étranger. Tes yeux ne sauront plus voir l’humble brin de gazon, tes oreilles ne percevront plus les battements d’ailes des oiseaux ; les bruits et les parfums de la forêt qui te sont si familiers, se tairont et s’évaporeront… Reste ! reste avec nous ! Sur cette terre où tout se fane et se flétrit sans retour, nous seuls sommes durables et fidèles ». Ainsi chantaient les bois, les herbes, les nuages et les roches antiques de Kerarvro. Ceux qui ne sont point Celtes ne connaissent pas la griserie d’une telle chanson. Ils croient que les hommes seuls peuvent parler. Mais les Celtes savent qu’il en est autrement et que tout, dans la nature, parle et chante.

Étienne est trop habitué à ce langage pour s’étonner d’en avoir été si troublé ; peut-être, après tout, le sera-t-il encore. Des déceptions, des découragements l’atteindront, mais il n’en a pas peur. Il se dit que les premières victoires sont les plus dures à remporter parce que le général manque d’expérience comme ses soldats et que le terrain sur lequel ils se battent leur est inconnu. Et il repasse dans sa mémoire tous les incidents des dix-huit mois qui viennent de s’écouler, si fertiles en surprises, en secousses, en épreuves d’où sa virilité est enfin sortie triomphante. Il se revoit chassant avec Yves d’Halgoet, emporté au galop furieux d’un cheval ou bien embusqué la nuit, dans les taillis humides et cherchant dans l’exaspération de cette vie toute physique à tuer la nostalgie qui le prend chaque fois qu’il songe à son avenir fermé. Et peu à peu, lorsque sa course endiablée le mène vers un sommet comme celui-ci, d’où les regards peuvent s’étendre au loin, cette ligne bleue, là-bas… qui borde l’horizon, suggestionne sa pensée. Par