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LA NOUVELLE REVUE

de l’île mystérieuse et évanouie n’était pas mise en doute. Cependant, aucun de ceux qui y croyaient fermement ne pouvait désigner ni l’Océan ni les parages où elle émergeait jadis des flots dont elle devait devenir la proie. Suivant le législateur, qui fut le conseiller de Crésus, elle avait, dans l’Atlantique, une superficie égale à celle de l’Asie mineure et de la Lybie ; mais ni Platon dans le Critias et le Timée, ni Diodore, ni Pline, ni Arnobe, qui en font également mention, ne sont mieux renseignés que le sage de la Grèce. Une seule conviction leur est commune c’est que l’Atlantide n’était pas une invention chimérique, qu’elle avait été vue et visitée par des marins, qu’elle devait avoir une grande importance avant le déluge auquel échappa Deucalion et que, dans cette inondation générale, elle fut submergée.

Au dix-septième siècle, d’autres opinions se firent jour. Certains cosmographes, ne contestant pas la réalité de l’Atlantide, se persuadèrent qu’elle n’avait pas disparu, comme l’affirmaient les anciens, mais que les navigateurs d’alors, de même que ceux qui avaient parcouru les mers avant Christophe Colomb, s’étaient vainement appliqués à en opérer la reconnaissance. Nombreuses furent les hypothèses émises dans ce sens. Pour Rudbeck, l’île tant cherchée ne pouvait être autre que la Scandinavie ; pour Latreille, c’était la Perse ; pour d’autres, les Canaries. Une des plus curieuses parmi toutes ces suppositions est celle que développa l’Allemand Bircherod, dans son ouvrage De orbe novo non novo qu’il publia en 1685, et où il veut prouver que des navires phéniciens ou carthaginois, poussés par les vents à l’aventure, furent jetés sur la côte d’Amérique, y abordèrent et séjournèrent, puis revinrent dans leur pays, mais sans qu’aucun d’entre les marins, pût dire quel itinéraire ils avaient suivis. À cette version peut se joindre ce que nous savons aujourd’hui, grâce au remarquable travail de M. Henry Vignaud, l’érudit secrétaire de l’ambassade des États-Unis, sur les renseignements dont se servit Colomb pour tracer sa route vers le Nouveau-Monde. Oraux ou écrits, ces documents, mis à profit par l’habile Génois, établiraient que longtemps avant lui cette terre d’Outre-mer avait, même antérieurement aux Normands qui abordèrent au Groenland, été connue des Européens à qui elle devait sans doute ces organisations sociales constatées chez les naturels par les conquérants.

Il restait à déterminer comment et quand cette immigration préhistorique s’était effectuée, pourquoi les Égyptiens, les Grecs, les Romains, les Européens d’avant la fin du xve siècle n’avaient exprimé à cet égard que des conjectures, et par quels moyens