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boliste, beaucoup plus large, l’a mis en belle place pour son indépendance, sa verve et l’individualité de son particulier génie.

Il est bien évident que l’œuvre de Tristan Corbière n’apporte point une réalisation complète de sa personnalité ; il n’a pu que montrer une belle aurore. Les Amours jaunes sont le livre de début d’un poète très doué, qui y affirme une individualité nette, tranchante, mais très susceptible d’orientation différente, en tout cas destinée à tirer d’elle-même beaucoup plus que les émotions et les aristophaneries de sa jeunesse. Il démontre tout de suite les plus brillantes qualités.

C’est net, précis, personnel absolument ; c’est d’un esprit libre, exagérant son besoin d’indépendance, rompant avec tout, avec presque tout le passé, si soucieux d’être lui-même qu’il ajoute à lui-même, qu’il se force en scepticisme, en humeur agile, en désenchantement, et qu’il restreint ses qualités, dès qu’il lui semble toucher à des terrains déjà battus, se défiant de la musique du vers, qu’il possède, s’interdisant toute fioriture, tout jeu de style, dans sa recherche d’une poésie rapide, nette, cursive, clichant des battements de cœur, calquant des sautes brusques de sentiments, et cherchant à être le moins dupe possible de lui-même, des échos du passé, et du vieux lyrisme qui pourraient sommeiller en lui.

Si Corbière est imprévu, il n’est pas isolé, ou du moins, s’il eut peu de contacts réels avec les poètes de son temps ; il n’est pas isolé dans la direction de son effort, sur sa route poétique ; il n’est pas seul, à son moment, dans ses négations.

Il compte parmi ceux qui déclinent la discipline parnassienne et veulent à leur façon propre traduire la vie immédiate, la vie de leurs cœurs et de leurs sens, sans recourir aux masques antiques, et qui brisent les bandelettes prosodiques dont le Parnasse a emmaillotté la poésie. Un peu après lui, moins complètement, Richepin, Vicaire s’orientent vers une couleur plus vraie et plus de liberté.

Il serait difficile de noter sur lui l’influence du naturalisme, qu’il connut ; néanmoins, certaines accointances avec cette mélancolie tintamarresque que note Goncourt sont plausibles. C’est un moderniste, mais c’est aussi un contre-romantique, et par là même un romantique exaspéré. Il a beaucoup lu les Contes d’Espagne et d’Italie, il s’en souvient en ironiste :

Ah ! carambah, monsieur est un señor français
qui vient nous la faire à l’aubade !


mais il s’en souvient. On ne peut prévoir ce que Corbière eût donné par la suite ; mais dans les Amours Jaunes il semble exorciser d’anciennes influences. Il est de tempérament combatif, il fait du pamphlet, de la satire, de l’épigramme, de la parodie clownesque ; dans ses bouffonneries comme dans ses sincérités, il est maniéré, à sa manière, il est vrai, tendre, et paradoxal. Il raille l’emphase et la sentimentalité,