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il n’est dépourvu ni de l’une ni de l’autre ; mais en même temps très critique et très inquiet, il se sauve par le mouvement, par la prestesse.

C’est un humoriste douloureux, un railleur tendre, un sarcastique non sans pose, l’amoureux d’une simplicité qui ne laisse point d’être complexe et un vériste fantasque.

Il a constaté lui-même qu’il est plein d’antinomies, et son souci serait de les concilier. Il n’a pas eu le temps.

Le désaccord d’une grande ambition et d’une force précaire, d’une grande ingéniosité, d’une grande rapidité de vision effleurant les cimes des métaphores et d’une difficulté dans la mise en ordre de ses idées, contribue à son amertume. Ennemi de toute rhétorique pompeuse, il n’en a pas moins, à certains moments, avec d’ingénieux déguisements de forme, une rhétorique un peu poncive (Pastorale du camp de Conlie).

La partie la plus colorée, la plus extérieure des Amours Jaunes, les Gens de Mer n’est pas exempte de cette enflure.

Que Corbière ait des défauts, cela ne l’empêche point d’avoir les plus belles qualités ; il a plus de saveur que d’intérêt réel ; mais c’est déjà beaucoup de piquer, de réveiller le goût, même avec plus d’agrément que de portée. Corbière est un ironiste, un amuseur, à sa façon un moraliste ; il se sert du poème pour remettre toute chose en place, et brusquement, à côté, il détruit pour lui-même cette mise en place et éclate en aveux et rit jaune, désespérément, eût dit un romantique. Mais faut-il demander au poète absolument d’être tout d’une pièce et quasi théorique ? C’est toute cette humanité vibrante, chez Corbière, dans une concision ironique, et toute cette sensibilité durement retracée par lui-même, qui fait le prix de son talent plus que les brefs lazzis d’Arlequin de comédie italienne, qui en sont les paillettes les plus apparentes.

Il est fâcheux que la biographie de M. Martineau soit muette sur un des points les plus intéressants de la biographie de Corbière, ou plutôt que les renseignements fassent défaut aussi complètement, sur la vie de Corbière à Paris et sur les amitiés littéraires qu’il y put avoir. Il n’y serait venu et n’aurait quitté sa Bretagne que par amour et pour se rapprocher d’une dame qu’il avait aimée là-bas. Arrivé en 1872, « installé plus que médiocrement dans une petite chambre de la rue Montmartre, où, dit-on, il ne possédait pour seul meuble qu’un coffre à bois sur lequel il couchait tout habillé, il commença cette existence de bohème noctambule qui devait le tuer.

Il dormait le jour, déjeunait à minuit, traînant dans les cafés, plus ou moins littéraires, travaillant en flânant. Il retrouva quelques peintres qui avaient été autrefois les hôtes de la pension Le Gad (à Roscoff