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Page:La Nouvelle revue, troisième série, tome 04, 1908.djvu/422

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pauvre maître d’école d’un village de la Haute-Autriche, lui enseigna tout ce qu’il savait de musique. — pas grand chose : les rudiments — ; jusqu’à l’âge de 33 ans, Brückner n’eut pour ainsi dire pas d’autre maître. Ces trente trois premières années de sa vie furent misérables et difficiles. Recueilli par charité, il fut successivement enfant de chœur, maître d’études suppléant, organiste provisoire au chapitre de Saint-Florian ; sans se laisser décourager par ces débuts pénibles, Brückner travaillait sans relâche. Enfin, en 1856, il passa un brillant concours, et fut nommé peu de temps après organiste à la cathédrale de Linz. Cette situation sinon lucrative, du moins indépendante, lui permit de se rendre de temps en temps à Vienne, pour travailler le contre-point avec Sechter et la composition avec O. Kitxler. Quelques années plus tard, à la mort de Sechter, la recommandation d’amis dévoués le fit nommer organiste de la chapelle de la cour à Vienne ; puis professeur de composition, d’orgue et de contrepoint au Conservatoire de cette ville. Il conserva ces fonctions jusqu’à sa mort qui survint en 1896 ; il avait composé, outre un quintette à cordes, une cantate pour chœur d’hommes, trois messes et des morceaux de musique religieuse, neuf grandes symphonies.

Voilà bien, n’est-il pas vrai, la vie la moins romanesque et la moins agitée, la plus sereine et la plus paisible qui soit ; c’est un peu la vie de César Franck chez nous, vie noble et digne, vie pieuse et mystique, partagée entre la tribune de l’orgue, et la chambre où le maître enseignait ses élèves, selon son cœur. Brückner et Franck furent les hommes de cette vie ; leur modestie et leur bonté sont pareilles, de même que leur esprit et que leurs cœurs. La persécution ne s’attacha pas à Franck comme à Brückner ; mais il est probable que le « Pater seraphicus » l’eût supportée comme « le bon vieil Anton », avec douceur et simplicité. Car la vie de Brückner ne fut paisible qu’à la surface ; Brückner fut persécuté, littéralement persécuté, et cela depuis le jour où il arriva pour la première fois à faire jouer une œuvre de lui : c’était en 1884, le musicien avait 60 ans, et c’était déjà sa « septième » symphonie ! La guerre commença aussitôt.

Les rares ouvrages français qui consacrent à Brückner une notice biographique toujours très courte, disent simplement : « Il fut très discuté ; dans l’Allemagne du sud, on l’opposa à Brahms, apprécié surtout dans l’Allemagne du nord. » Cela n’est exact qu’en apparence ; en tout cas, c’est insuffisant. Il est certain qu’on l’opposa à Brahms, ou plutôt que Brahms lui fut opposé ; mais il ne faudrait pas croire que la persécution musicale dirigée contre Brückner soit née d’une lutte de l’esprit musical allemand contre l’esprit musical autrichien : elle est uniquement née d’une lutte nationaliste et religieuse. Brückner était ardent catholique, et bon allemand, mais pas allemand dans le sens prussien, dans le sens « Los von Rom », allemand autrichien et ultramontain. Après le bon Dieu, auquel il dédia sa 9e symphonie, (dem lieben Gott,) le vieil organiste ne tenait à rien tant qu’à son