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Page:La Nouvelle revue, troisième série, tome 04, 1908.djvu/423

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Autriche. Ses opinions étaient trop connues et trop nettes ; il ne les avait pas affichées, mais sa vie si franche, si « transparente », les avait démontrées : toute la bande juive, protestante, universitaire, libre-penseuse de Berlin, se dressa immédiatement contre lui… L’art, qui n’a pas de patrie, devrait encore moins avoir de parti ; en France, les antipathies musicales sont — ou ont été — quelquefois aussi, dictées par des motifs tout à fait étrangers à l’art, cela est très regrettable ; mais chez nous, au moins, ces antipathies n’ont jamais dégénéré en lutte, encore moins en persécution, marquée surtout de ce cachet de férocité et de haine qui a caractérisé la cabale menée contre Brückner. Ce fut Hanslick, haineux porte-parole de Brahms et de son clan judéo-allemand qui mena la chasse ; il y mit un acharnement incroyable, et fut réellement le bourreau de l’humble compositeur. Il ne discutait pas, il injuriait ; il ne critiquait pas seulement les œuvres, il insultait leur auteur : il trouvait ainsi de plus nombreuses occasions d’assommer son adversaire, car l’animosité du prince des critiques contre le musicien, ayant effrayé les chefs d’orchestre, on ne jouait guère la musique de Brückner. « Il ne s’est peut-être pas entendu dix fois à l’orchestre », dit M. W. Ritter. Cette lutte discourtoise manquait d’autant plus de générosité et de noblesse, que Brückner était lui-même d’une modestie et d’une délicatesse extrêmes. Bafoué, vilipendé, il demeurait sans défense, un bon sourire aux lèvres, un peu triste cependant. Il croyait si peu à la méchanceté de ses adversaires, qu’il ne mit jamais en doute leur bonne foi ; il finit une fois par se persuader que leurs attaques étaient justifiées, et, modestement, il brûla une dixième symphonie qu’il venait d’écrire, se croyant sincèrement un imbécile en musique ; on le lui avait reproché si souvent. Il en souffrait d’ailleurs moins dans son orgueil que dans sa dignité. Un jour, après l’audition d’une de ses symphonies à Vienne, Brückner fut reçu en audience privée par l’empereur ; celui-ci qui estimait le caractère de l’homme autant que le génie de l’artiste, lui demanda : « Que puis-je faire pour vous ? » Le bon Brückner ne trouva d’abord rien à répondre ; mais se souvenant qu’Hanslick venait de faire sur lui un article encore plus violent que d’habitude, dans lequel il était dit qu’une salle de concert avait été souillée par sa musique, il formula seulement ce vœu charmant : « Sire, obtenez que M. Hanslick, lorsqu’il parle de moi, soit un peu plus objectif ».[1]

  1. « Une lettre est une âme », dit quelque part Balzac. Voici une lettre de Brückner à M. Félix Mottl, l’illustre Kapelmeister. Si l’on songe que Brückner avait plus de 60 ans lorsqu’il l’écrivit, on sera surpris de son caractère candidement juvénile, et de la naïveté de l’enthousiasme qui s’en dégage. Il s’agit de la 7e symphonie, en mi majeur, celle qu’Hanslick avait surnommé « trémolo-symphonie », comme il avait baptisé « pizzicato-symphonie », la 5e en si bémol, la plus belle peut-être, la plus haute, la plus brücknérienne ; pour déprécier ces œuvres et empêcher qu’on les prit au sérieux. L’adagio en ut dièse mineur, dont il va être question, est une sorte de marche funèbre à la mémoire de Wagner. (Encore un grief du parti Brahms contre Brückner, cette admiration pour l’auteur de Parsifal) ! Voici la lettre :