Page:La Nouvelle revue, troisième série, tome 04, 1908.djvu/427

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deux thèmes, l’un religieux et liturgique, l’autre guerrier, une progression titanique aboutit à une solennelle apothéose : les thèmes des quatre parties de l’œuvre y réapparaissent simultanément, magnifiés, sublimés, et comme purifiés à la flamme ardente d’un brasier.

M. L. Hasselmans, je l’ai déjà dit, a donné de cette œuvre monstre, une interprétation des plus remarquables en elle-même, et qui l’est encore plus si l’on songe que pour jouer les symphonies de Brückner, il n’existe ni tradition, ni indication d’aucune sorte. Brückner lui-même n’avait aucune idée bien précise sur leur exécution, ni d’intentions bien arrêtées sur leur mise au point ; il ne s’entendait jamais à l’orchestre, et composait ses œuvres magistrales un peu comme Beethoven sourd composait ses derniers quatuors. Il y a actuellement en Allemagne deux écoles de chefs d’orchestre brücknériens ; les uns représentent la littéralité, les autres l’interprétation. Car il faut souvent choisir entre les deux. On remarque en effet dans l’orchestration d’abord (qui d’ailleurs est admirable, ample, souple et fluide), des défectuosités étranges, telles qu’il faut passer outre des indications, sur des choses soit inexécutables, soit contradictoires, c’est-à-dire gâchant l’effet pour lequel elles sont écrites ; il y a ensuite ces contradictions fréquentes de style et d’écriture que je n’ai fait qu’indiquer plus haut, ce conflit perpétuel entre le génie qui cherche à s’évader, et le «schulmeister » consciencieux qui se raccroche aux antiques lois : lutte émouvante, mais qui donne à l’œuvre des heurts désagréables et lui enlève parfois l’unité de son caractère. En Allemagne, M. Gollerich représente la littéralité, et M. Westarp l’interprétation, encore plus dans le sens Brückner que Brückner lui-même n’aurait osé s’y jeter, sous prétexte que le maître a été continuellement entravé en tout, pour tout et par tous, ce qui est vrai. L’exécution de M. Hasselmans, tout en demeurant aussi respectueuse que possible du texte, a été dirigée plutôt dans le sens de l’interprétation ; et il faut féliciter l’excellent chef d’orchestre d’avoir tenté de nous faire pénétrer dans l’âme candide, héroïque et sainte du vieux Brückner.

J. Saint-Jean.