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AVANT L’AMOUR.

apprendre qui je suis, d’où je viens, ce que je puis vous offrir. Je suis bien étonnée que vous m’aimiez et que vous me souhaitiez pour compagne, lorsque tant de jeunes filles plus belles et plus riches que la pauvre Marianne seraient heureuses de vous épouser. Moi, monsieur Rambert, je suis orpheline ; je n’ai point de fortune et je porte le nom de ma mère. Je ne vous apporterai que ma jeunesse, ma bonne volonté, la tendre reconnaissance d’avoir été aimée et choisie par un homme tel que vous. Je serai cette amie encourageante et consolatrice qui vous est nécessaire et je me dévouerai à vous de tout mon cœur.

« Vous savez ce que vous deviez savoir. Pardonnez-moi ma hardiesse. J’ai écrit cette lettre en tremblant et en pleurant. N’est-ce pas que je n’ai point mal fait ! Pourtant j’ai peur. Si cette démarche allait me coûter votre affection et votre estime !

« Marianne Taverley. »

Quatre jours passèrent sans nous apporter des nouvelles de Rambert. Mme Laforest annonça son retour et l’appréhension des événements inévitables oppressa tout à coup mon cœur. Le silence du musicien n’ébranlait pas ma certitude. Il m’eût paru sacrilège de douter de lui. J’inventais mille excuses, je donnais mille explications à son absence et tout le jour, sans me lasser, je répétais les mélodies où j’entendais sa voix, où je sentais son âme. J’avais bien mon âge, par ces heures enchantées où l’azur de l’illusion me cachait les tristes réalités, où je ne doutais ni de moi-même, ni de ce Dieu paternel, ni des hommes. La chimère de l’amour m’emportait sur ses ailes, quand Mme Gannerault reçut un mot de Mme Laforest annonçant sa visite pour le soir même. Rambert, disait-il, se ferait un plaisir de l’accompagner.

Il vint — et je fus glacée d’une terreur sans causes en voyant la mélancolie de ses yeux, la lassitude de ses gestes et tout un ensemble d’expressions et d’attitudes qui n’étaient pas celles d’un fiancé triomphant. Mme Laforest et son mari avaient engagé une conversation aussi animée que banale et la volontaire inattention de ma marraine s’emblait encourager Rambert. Je crus enfin comprendre qu’il désirait me parler et je manœuvrai pour me réfugier sur le balconnet où il m’avait fait naguère sa surprenante déclaration.

Il vint, en effet, s’accouder auprès de moi. L’abat-jour orange éclairait le salon, derrière nous, d’une chaude lumière. J’entendais