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AVANT L’AMOUR.

épouser… Mais elle a été maladroite. Elle n’aurait pas dû écrire à Rambert.

Ma marraine eut un cri :

— Elle a écrit à Rambert !

— Et voici sa lettre… Rambert est honnête. Il m’a chargée de remettre à qui de droit ce document compromettant…

Je n’en entendis pas davantage… Je courus dans ma chambre. Je m’enfermai à double tour… Je ne comprenais plus rien à l’attitude de Rambert. Il me semblait que j’étais abandonnée de tous, méconnue par tous, odieusement jouée et trahie… Je ne pleurai pas cependant. Une fureur me prit… Quoi ! j’étais calomniée par cette misérable Laforest qui, si elle était capable d’avoir des amants, était absolument incapable d’avoir jamais un amour ! Entre ma famille adoptive et moi se creusait désormais l’abîme d’un malentendu irréparable, et l’expérience que j’avais faite me faisait mesurer les chances de bonheur que me réservait l’avenir… Ma marraine, représentant le monde et la famille, me montrait le mariage impossible, chimérique ou reculé indéfiniment… Mes origines, ma pauvreté, l’égoïsme des hommes, la médiocrité des âmes, tout me condamnait au célibat… « Moi, m’écriai-je, je ne renonce à rien. Je ne tuerai pas mon cœur ; je ne sacrifierai pas ma jeunesse à ces dieux aveugles et sourds qu’on appelle les usages, les convenances, le monde… Je vivrai la vie… J’ai droit à l’amour… Si je ne puis le trouver dans le mariage… alors… »

Cet alors, désormais, occupa toutes mes pensées.

VIII

J’étais assise, un livre à la main, dans le jardinet de notre maisonnette des Yvelines. Chaque été, mon parrain louait pour trois mois cette maison mi-bourgeoise, mi-paysanne, dont nous occupions l’unique étage, quatre grandes pièces froides et claires meublées dans le goût provincial.

Sur la rue, ouvraient la salle à manger, la petite pièce réservée aux amis, la chambre de marraine, tapissée de papier jaune et meublée d’acajou. J’habitais une pièce contiguë, mais indépendante, dont la porte ouvrait sur le palier et la fenêtre sur le jardin. En bas, dans une espèce de cellier, couchait la servante.

Mes parents partis en promenade au hameau voisin de Galluis,