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LA NOUVELLE REVUE.

Et la vie de famille reprit, monotone et lente, coupée de leçons, de visites, de réceptions et de querelles… Après huit jours de mélancolie, M. et Mme Gannerault me crurent tout à fait consolée… « À cet âge, pensaient-ils, on oublie vite… » Mais j’étais de celles qui peuvent tout apprendre et ne veulent rien oublier.

Jamais je ne prononçais le nom de Rambert et je pensais à lui sans cesse… J’espérais encore je ne sais quel miracle qui devait nous rapprocher. Aussi mon émotion fut-elle violente le jour où Mme Laforest demanda une entrevue confidentielle à Mme Gannerault. J’étais au salon. Un regard de ma marraine m’invita à me retirer… Je passai dans la pièce voisine… Et soudain une idée m’assaillit qui me cloua derrière la porte, immobile, pâle, glacée, tout mon sang refluant au cœur… Je prêtai l’oreille et j’entendis Mme Laforest qui disait :

— Vous comprenez, chère madame, que tout ceci est fort ennuyeux… Rambert m’a parlé. Il est au désespoir. Il craint que vous ne soupçonniez sa délicatesse… Marianne est une enfant charmante… mais imprudente, un peu coquette… elle n’a pas compris… ce n’est pas un crime…

— Nous avions bien besoin de toutes ces histoires, répondit Mme Gannerault avec humeur… Votre Rambert a été trop léger… Mais j’ai vertement tancé la petite, croyez-le bien… Après tout, ce n’était pas invraisemblable qu’il l’eût trouvée à son goût…

— Oh ! fit Mme Laforest, d’une voix sèche, Rambert sait bien qu’il n’est pas mariable… D’ailleurs, pourrait-il se marier maintenant, qu’il choisirait un autre parti que Marianne… La chère enfant n’est pas votre fille… Je puis vous parler librement…

— Eh ! ma chère, Marianne est aimable ; elle chante à ravir, et puis elle a dix-sept ans, et Rambert préfère sans doute la jolie jeunesse aux beautés mûres… comme vous et moi…

— Je crus voir Mme Laforest pâlir de rage. Elle répliqua :

— Rambert n’épousera jamais une fille sans dot et sans nom, si cette fille n’a pas une tenue irréprochable… Or Marianne…

— Que voulez-vous dire ?

Le ton de la conversation devenait aigre-doux. L’amour-propre de Mme Gannerault la poussait à me défendre, et je ne sais quel sentiment animait Mme Laforest. Elle reprit :

— Allez, Marianne est une fine mouche… Elle voulait se faire