Page:La Nouvelle revue. v.103 (Nov-Dec 1896).djvu/121

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
109
AVANT L’AMOUR.

— Je ne crois pas… Mais tu prends des allures d’inquisiteur, mon cher Maxime. Je suis une demoiselle bien élevée, ni plus, ni moins.

— Sois ce qu’il te plaira d’être… mais ne gâche pas ta vie ! dit-il en suivant une pensée qu’il ne formulait pas… C’est égal ! entre ma famille et toi il y aura des conflits…

— Où vois-tu ça ?

— Dans tes yeux.

Il devenait taquin. Vexée, je changeai la conversation.

Presque aussitôt les Gannerault survinrent. Aux caresses exaltées de sa mère, aux questions inquiètes de son père, Maxime répondit en homme préparé d’avance à toutes les éventualités. Il avait quitté M. de Charny parce qu’il s’ennuyait à l’étranger, parce que l’ambassadeur le traitait quasi en domestique, parce qu’il voulait faire sa vie, seul et indépendant.

— D’ailleurs, ajouta-t-il d’un ton de défi, je ne demande rien à personne. J’ai des économies. Un journal m’est ouvert. Je rapporte des documents curieux et qui pourront inquiéter bien des gens. Je serai craint. C’est une force.

— Et ce journal !

— La Conquête.

Mon parrain posa sa fourchette. L’émotion l’étranglait.

— La Conquête… ce journal que… qui… que je qualifierai de perturbateur… qui raille… qui bafoue… la société, la propriété, la famille ?…

— Eh ! mon cher père, dit Maxime d’un air de condescendance, je ne voudrais point te contrarier, mais tu as tes opinions, j’ai les miennes.

— Pourtant… mon expérience…

— Mon pauvre papa, ne discutons point. Je respecte ton expérience, mais j’entends faire la mienne, à mes dépens, s’il le faut. J’ai l’âge de me conduire moi-même. J’aime mieux te le dire franchement.

— Laissez de côté votre vilaine politique ! interrompit Mme Gannerault, toute au bonheur de revoir son fils. Maxime a vingt-six ans. Il fera comme il lui plaît. Mais tu habiteras chez nous, Maxime ?

— C’est tout à fait impossible, ma chère maman.

— Cependant…

— N’insiste pas. J’ai des raisons. Il faut que je sois complète-