Page:La Nouvelle revue. v.103 (Nov-Dec 1896).djvu/345

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
333
AVANT L’AMOUR.

aimais à rencontrer sous les saules des Yvelines. La vie qui m’a tant meurtri achève de m’écraser.

« Marianne, je n’ai aucune illusion, aucune espérance et l’aveu que je te fais n’engagera que mon cœur. Tu connais ma situation. Une femme me tient — non par le cœur ni les sens — mais par la dette de reconnaissance que j’ai contractée envers elle, bon gré mal gré. Je ne suis ni riche ni célèbre, ni libre. J’engage contre la destinée une lutte où je puis être vaincu. N’est-ce pas la pire folie d’ajouter aux chances contraires, aux néfastes fatalités, à la menace de maux innombrables, la certitude d’une suprême douleur ?

« Et pourtant cette douleur, je l’accepte, je l’aime, oubliant qu’elle a conduit aux défaillances des hommes mieux armés que moi. Dans ma pauvre chambre d’hôtel, par ces jours pluvieux de décembre, le découragement, l’infinie lassitude m’ont ramené vers toi, triste à mourir. J’ai compris tout à coup que tu me manquais et que le mal dont je souffrais, c’était la nostalgie d’une absente. Hélas ! comme ils me sont apparus lumineux et doux, les frais matins des Yvelines ! Tes larmes, chérie, m’ont hanté, et j’ai posé ma plume, au milieu d’un travail aride, pour rêver à tes pieds nus que je n’avais pas baisés. Suis-je donc un collégien romanesque ? Ai-je oublié ma volonté d’être fort, ma répugnance pour les fadeurs sentimentales, ce cynisme volontaire qui t’indignait ? Marianne, Marianne, qu’as-tu fait ? Quand je suis près de toi, petite amie fraternelle, j’oublie que tu aimes ou que tu crois aimer ; j’oublie que ton affection pour moi est celle d’une sœur, j’oublie… hélas ! un mot de toi me rappelle aux réalités implacables. Et pourtant, si tu pouvais m’aimer !… »

Je répondis simplement « Je serai seule mardi. Il faut que je te parle. Viens ! »

Il vint. Nous nous retrouvâmes côte à côte sur le canapé du salon. La pluie battait les vitres ; le feu triste mourait et sur une console, lentement, s’effeuillaient les derniers chrysanthèmes. Maxime me prit les mains, me regarda jusqu’à l’âme et prononça :

— Tu ne m’aimeras jamais ?

J’eus le pressentiment qu’il disait la vérité, mais il m’était impossible de ne pas soulager sa souffrance. Malgré moi, je répondis :

— Qui sait ?

Il secoua la tête :