dont l’aide secrète de ma marraine n’avait pu le délivrer complètement. On ne vit pas, à Paris, avec quelques articles publiés à longs intervalles, avec quelques leçons intermittentes et mal rétribuées ; et Maxime, s’il habitait une très modeste chambre dans un très modeste hôtel garni, ne différait en rien des jeunes gens aisés, sinon riches, que sa famille fréquentait. Vêtu correctement, il se montrait au théâtre, aux courses, dans les brasseries littéraires, répudiant toute excentricité bohème, n’évitant point les occasions d’offrir un cigare et un bock à un camarade… Plus expérimentée, je me serais demandé sans doute comment et de quoi il vivait. Mais j’ignorais la valeur de l’argent et les articles que j’avais lus, misérablement payés, me paraissaient plus que suffisants pour le budget d’un jeune homme. Aussi m’étonnais-je d’ouïr des réflexions malveillantes dans la bouche des soi-disant amis de Maxime. Je savais que le talent comme l’amour, si la pauvreté les accompagne, trouvent dans les « gens du monde » d’impitoyables ennemis. Et je plaignais Maxime. Ma rancune sympathisait avec ses haines. Je le rêvais riche un jour et triomphant.
Cependant Juliette apparaissait au centre de la galerie où dansaient des jeunes filles couronnées de roses et des adolescents coiffés du rouge toquet florentin. Blonde, en robe de satin blanc, un peu grasse, elle montrait des épaules de professional beauty et la face poupine d’un baby américain. Sa voix claire et fraiche montait comme le cristal d’un jet d’eau, éparpillant les perles glacées des vocalises. Autour d’elle s’agitaient des satellites, la nourrice, le vieux père, le romantique Tybalt, Mercutio l’ironique, Roméo masqué de noir. Et les abonnés, séduits par les formes opulentes de la chanteuse, les femmes émues par la facile mélodie et la caresse des mots d’amour, écoutaient avec un enthousiasme convenable.
Venez-vous au foyer ? dit un vieux mélomane assis derrière ma marraine… On étouffe ici, belle dame, et je serais heureux de vous offrir le bras.
— Vieux roquentin murmura Montauzat, appuyé à ma chaise, tandis que Mme Gannerault se levait. Il a été fort galant sous Louis-Philippe, ce brave père Rochambeau.
— Ne vous moquez pas de lui. C’est mal, dis-je avec humeur.
— Vous ne semblez pas contente, ce soir, mademoiselle Marianne ?