Page:La Nouvelle revue. v.103 (Nov-Dec 1896).djvu/364

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trophées des cotillons, ornaient le cadre de la glace. Une seule rose trempait dans un vase de cristal. Aucun parfum évaporé, flottant sur la toilette, aucun vêtement d’intimité oublié sur les fauteuils. Le jour égal et comme assoupi, le silence, les blancheurs de l’alcôve et de la fenêtre, éternisaient dans cette petite chambre le souvenir et l’espoir du sommeil. Elle gardait le charme froid de la virginité et, parmi les nuances neutres, les sièges rigides, près du lit étroit, l’amour se sentait mal à l’aise.

Contre le fauteuil où j’étais assise, Maxime se plaçait sur un tabouret bas, presque à mes genoux, le front à la hauteur de mes lèvres. Tendres ou railleuses nos confidences se répondaient. Un jour vint pourtant où, comme Paolo et Françoise, nous ne lûmes pas plus avant au livre de nos cœurs. L’âme de l’été errait dans l’air avec l’odeur des jeunes roses ; et Maxime, enivré par le crépuscule couleur perle, par la solitude, par le silence, laissa sa bouche s’égarer. Baiser délicieux aux lèvres qui s’aiment, prélude éternel de la suprême possession, baiser qui trouva sans forces ma jeunesse affamée d’amour. Pourquoi me laissa-t-il triste infiniment, oui, infiniment triste et déçue ? Maxime vit ma mélancolie qu’il prit pour le trouble des premières voluptés et tendrement :

— Je le sens, dit-il, maintenant, tu m’aimes !

J’étais presque étendue sur ses genoux. Ma tête reposait sur son cœur et ses paroles glissaient avec ses baisers sur les ondes de ma chevelure.

— Tu m’aimes ! tu m’aimes ! Oh ! Marianne, tu es à moi ! Laissons s’achever le rêve. Savourons la félicité tout entière. Marianne… à moi !

Ses yeux se noyaient dans une langueur inconnue. Je le sentais brûler et frémir, et plus augmentait sa fièvre, plus se glaçait mon sang, plus grondait en moi un instinct de révolte, le désir de fuir, d’être loin, d’être seule. Ma torpeur le trompa. Éperdu, il ne mesura plus sa hardiesse. Mais déjà je me dérobais, je m’arrachais à lui, convulsée et frissonnante ; je fondais en pleurs, réfugiée sous les mousselines du lit.

— Enfant ! enfant ! murmura-t-il, à genoux, son bras pressant mes épaules. Ne pleure plus ! n’aie pas peur ! Je n’exige rien de toi… Oui, j’ai perdu la tête. Je me suis montré trop ambitieux et trop avide possesseur de celle que j’aime… Va ! calme-toi ! Je reconnais que j’ai eu tort.