Page:La Nouvelle revue. v.103 (Nov-Dec 1896).djvu/363

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Maxime s’en émût. Il soutenait un candidat communiste, le tanneur Guillemin, fort honnête homme qu’embarrassaient un peu les procédés violents de son cornac. En lisant les articles de Maxime où il affichait l’orgueil de sa pauvreté et de son désintéressement, j’oubliais les singulières théories qu’il avait mises en pratique. Et considérant son dévouement, sa persévérance, son amour que mes caprices n’avaient point découragé, je me persuadais que les défauts de Maxime n’étaient que l’excès magnifique de ses rares qualités.

Je ne lui disais point que je l’aimais. Cet aveu me semblait prématuré encore ; mais, confiante, je me laissais conduire vers l’amour. Nous avions convenu de dérober à tous le secret de nos cœurs et de préparer lentement les Gannerault à un événement qui susciterait leur colère. Je n’ignorais pas que Mme Gannerault n’abandonnait point ses anciennes espérances et je me souciais peu d’être traitée en intruse. D’autre part, je voulais que la rupture, commencée — disait Maxime — au grand désespoir de Mme de Charny, s’achevât avec tous les ménagements que l’honneur commande… Des mois, des années passeraient peut-être avant que Maxime pût m’épouser.

Quel mystère, quelle prudence nous apportâmes dans nos rendez-vous ! Il fallait choisir les jours où Mme Gannerault s’absentait, éloigner la servante à l’affût de tous les prétextes pour rejoindre dans le square de l’Observatoire un municipal qui la courtisait. Un ruban attaché au balcon signifiait que la place était libre. Maxime apparaissait à l’angle du trottoir, sous les marronniers. Je reconnaissais sa haute taille, sa démarche, le balancement de sa canne et derrière le rideau soulevé, je pensais avec une émotion souvent mélancolique : « Voilà celui que j’ai fait maître de ma destinée, de qui dépendront désormais mes peines et mes joies ! » Le jeune homme entrait sous la voûte. Son pas, dans l’escalier, devenait plus rapide, il franchissait les dernières marches d’un seul bond. Et avant que le timbre retentit, dans l’entre-bâillement de la porte, je lui souriais, furtive silhouette, avec un baiser muet au bout des doigts.

Nous nous réfugions dans ma chambre, dont Maxime aimait la tapisserie gris bleu, les meubles simples et les mousselines voilant le lit tout blanc. Dans un angle, une vierge de faux ivoire étendait ses mains bienveillantes sur un bénitier garni de velours bleu. Des flots de rubans, de minuscules tambourins, puérils