Page:La Nouvelle revue. vol. 104 (Jan.-Feb. 1897).djvu/506

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
498
LA NOUVELLE REVUE.

même temps francophobes el les francophiles, anglophobes ; ils l’étaient avec passion, avec frénésie. D’un parti à l’autre, les modes, le langage variaient ; tous les moyens étaient bons pour marquer ses préférences. Les modérés déploraient de telles exagérations ; elles paraissent avoir surtout affecté Washington et lui avoir dicté le célèbre passage de son message d’adieu, dans lequel, prémunissant ses compatriotes contre l’influence étrangère, il les adjurait de ne s’abandonner à aucun sentiment de haine ou d’amour exalté envers une autre nation. « Le peuple, disait-il, qui se laisse aller à nourrir une antipathie marquée ou une sympathie enthousiaste à l’égard d’un autre peuple devient en quelque sorte l’esclave de sa passion. Dans l’un comme dans l’autre cas, il est aveuglé au point de méconnaître sa dignité et ses intérêts véritables. » La parole de Washington, surtout en une circonstance aussi solennelle, ne pouvait manquer d’impressionner l’opinion. D’autre part, des incidents survinrent qui montrèrent en quel dédain la France et l’Angleterre tenaient les États-Unis.

La France révolutionnaire se crut tout permis envers un pays qu’elle s’imaginait avoir tiré du néant. L’Angleterre traita ses anciennes colonies comme un serviteur infidèle auquel on refuse le certificat qui lui permettrait de se placer ailleurs. Il s’en fallut de peu que la guerre n’éclatât avec la France. En fait, elle avait déjà commencé, le commodore Tuxton s’étant emparé d’une frégate française, lorsque très sagement le président John Adams arrêta les hostilités. Avec l’Angleterre, les relations se tendirent de plus en plus, et la rupture ne put être évitée. La paix ne fut rétablie qu’en 1814 par le traité de Gand. Ces événements, bien entendu, refroidirent le zèle des partisans des deux pays, mais ne suffirent pas à annihiler leur action. Au point de vue des rapports avec l’étranger, il y eut donc trois courants bien marqués. Les liens du sang rattachaient, malgré tout, les États-Unis à l’Angleterre ; la reconnaissance et une certaine sympathie naturelle les inclinaient vers la France. Le bon sens et les conseils de Washington leur dictaient une attitude de neutralité absolue. À partir de 1810 des influences nouvelles se manifestèrent. Les colonies espagnoles levèrent l’étendard de la révolte et se formèrent en républiques indépendantes au moment même où les États-Unis, ayant franchi la ligne du Mississipi, commençaient à entrevoir la possibilité d’occuper un jour tout le nord du continent et où la démocratie populaire allait remplacer au pouvoir l’aristocratie virgi-