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LE FORMATION DES ÉTATS-UNIS.

de cela ils ne voulaient « rien savoir ». D’où le sobriquet de Knownothings sous lequel on les désigna.

L’âme américaine est ainsi influencée par des tendances contradictoires dont il faut connaître l’origine pour comprendre les effets. Lorsque Jonathan raisonne avec ce clair bon sens qu’il a hérité des premiers fondateurs de sa fortune, il juge les événements de haut, apprécie le travail régulier, l’évolution normale, répudie les ambitions malsaines, préfère aux éclats grandioses du canon le sifflement de la charrue à vapeur qui trace dans les plaines de l’ouest des sillons géométriques. Mais lorsque, par contraste avec sa grandeur présente, lui revient le souvenir de son très court passé, une bouffée d’orgueil monte à son cerveau. Il jette un regard sur le drapeau national et y voit inscrits en termes symboliques les progrès accomplis ; treize bandes blanches et rouges qui figurent les treize colonies et tout un firmament d’étoiles qui représentent le nombre actuel des États. Un peu plus d’un siècle a suffi pour cette merveilleuse transformation ; le monde n’en vit jamais de semblable. Alors son pays lui apparaît sous un jour providentiel, avec une mission de Dieu à remplir et tout vibre en lui. L’Américain est impressionnable à un point dont nous n’avons pas idée. Il l’est, au Nord plus qu’au Sud, parce que les émotions y sont plus concentrées, à l’Ouest plus qu’à l’Est, parce que les instincts y demeurent plus primitifs. Le même homme que vous avez vu assis à son bureau, l’œil froid, la parole calme, alignant ses chiffres, combinant ses opérations, tout entier à ses préoccupations commerciales, ce même homme est susceptible, l’instant d’après, pour un rien, pour un anniversaire patriotique, pour l’inauguration d’une statue, pour un discours bien tourné, d’éprouver un bouleversement de tout son système nerveux, de se sentir remué jusque dans les fibres les plus intimes de son être. S’il est très jeune, il s’exalte, se démène, crie, verse des larmes. Si l’âge a déjà ralenti ses expansions, c’est dans son regard que se concentre sa passion. Elle y tremble comme une flamme. J’ai souvent noté l’impression qu’il subit au contact de la foule, mais de sa foule seulement. Car le même spectacle, entrevu hors de chez lui et parfois dans un cadre bien plus saisissant, ne l’ébranle en rien. Il s’intéresse alors à ce qu’il voit, s’en amuse ; il ne se sent pas à l’unisson avec ceux qui l’entourent. Pour savoir ce que c’est qu’une masse énorme d’hommes n’ayant plus qu’une