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LA NOUVELLE REVUE

un temps où régnerait l’indifférence, de semblables manifestations ne seraient pas possibles. Nous sommes ainsi amenés à cette conclusion qu’un lent travail s’est accompli au sein de la société américaine, travail d’érosion semblable à celui qui a creusé le grand canon du Colorado, travail silencieux, souterrain, incessant dont il faut chercher les traces dans les chroniques locales, dans les œuvres de détail… Depuis qu’il est fondé, le gouvernement fédéral n’a pris parti dans aucune querelle théologique, dans aucune contestation confessionnelle. Il a ignoré officiellement le saint-siège et les consistoires. On pourrait donc lire d’un bout à l’autre l’histoire des États-Unis sans y noter l’action des forces religieuses. Nous venons de voir que, contrairement aux lois, un hommage presque quotidien leur était rendu ; donc elles existent et il importe de déterminer avec soin la nature et l’intensité de leur action, sans quoi tout un côté de l’âme américaine — et non le moindre — risquerait d’échapper à nos investigations.

Les puritains n’étaient pas les seuls à favoriser l’existence d’un lien entre l’Église et l’État, pourvu qu’il fût question de leur église et de leur État, imitant en cela certains radicaux qui apprécient fort le despotisme lorsqu’ils peuvent s’en servir. Les planteurs virginiens étaient imbus des mêmes idées, mais pour d’autres causes. L’Église établie leur plaisait, parce qu’elle était Anglaise, parce qu’elle rattachait leur dominion au vieux pays contre les exigences duquel ils se révoltaient à l’occasion, dont ils étaient fiers néanmoins de pouvoir se dire les fils. Ces mêmes motifs la rendirent odieuse aux révolutionnaires. Sa décadence fut rapide ; ses fidèles la réorganisèrent sur une base identique, mais le principe fondamental fit défaut, le caractère officiel ayant disparu. Ce résultat était dû en partie à l’influence presbytérienne, en partie à celle des philosophes européens. Les presbytériens, à l’inverse des puritains, s’étaient énergiquement prononcés en faveur du régime de la séparation auquel ils avaient tout à gagner. D’autre part, le souffle d’incrédulité du vieux monde avait atteint les rivages américains, et, bien que très affaibli par la distance, inspirait à certains constituants une méfiance générale à l’égard des cultes et du clergé. La séparation prévalut et toute profession de foi, si vague qu’elle fût, se trouva bannie du texte même de la Constitution. Il advint alors que les bienfaits de la concurrence favorisèrent l’essor des diverses confessions bien au delà de ce qu’eût fait l’appui gouvernemental. Les Églises rivalisèrent de zèle pour recruter les fidèles,