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LA FORMATION DES ÉTATS-UNIS

et comme le peuple américain se composait d’éléments empruntés aux pays d’Europe les plus directement influencés par le sentiment religieux, elles n’eurent pas grand’peine à y parvenir. Les Irlandais, les Bavarois allèrent tout naturellement grossir les rangs du catholicisme, les Anglo-Saxons, les Scandinaves firent progresser le protestantisme. Mais ce n’est pas autour de ces autels et de ces chaires consacrés par les siècles que la véritable effervescence se produisit. Les croyances que les prêtres catholiques ou les pasteurs anglicans, devenus des épiscopaliens, proposaient à la foule, étaient précises ou du moins limitées ; il s’agissait d’entrer dans un temple déjà bâti, de réciter un Credo déjà rédigé, d’adopter une liturgie déjà fixée. L’âme américaine cherchait autre chose.

C’était l’époque où les revivals, interrompus par la guerre de l’indépendance, reprenaient de plus belle. On appelait ainsi une sorte de cyclone mystique, déchaîné souvent par un apôtre de médiocre talent et d’éloquence vulgaire, qui passait sur toute une région et exerçait des ravages multiples. Dixon en a donné une description fameuse[1] dont les détails sont éminemment suggestifs. C’est, dans les solitudes de l’Ohio ou de l’Indiana, une très vaste clairière au milieu des bois. Les approches du campement rappellent les hauteurs d’Epsom, le jour du Derby : des cabriolets, des chars à bancs, des carrioles de toutes les formes sont là dételés, les brancards en l’air ; les animaux, entravés, dévorent l’herbe rare et piétinée. Sous de grandes baraques, hâtivement édifiées, on mange, on boit, on fume ou l’on prie. Tout au centre, debout sur une souche d’arbre qui lui sert de tribune, un homme vêtu de noir, le visage pâle, les yeux enflammés, gesticule et pérore ; une foule avide se presse autour de lui ; tous les fermiers du voisinage, avec leurs femmes, sont venus là chercher des émotions et quelque révélation consolante ; il y a des nègres aussi et même des Peaux-Rouges. La bizarre assemblée subit une sorte d’hypnotisme inexplicable pour nous autres, car ces hommes ne sont point des déséquilibrés, encore moins des désœuvrés. La plupart ont abandonne, pour venir, leurs affaires ou leurs cultures ; ils se remettront demain à gagner de l’argent et reprendront le cours de leur vie normale. Qui le dirait à les voir blêmes, les lèvres serrées, tandis que leurs femmes, toutes pantelantes, clament avec l’orateur,

  1. W.-H. Dixon, New America, t. ii.