Page:La Nouvelle revue. vol. 106 (May-June 1897).djvu/475

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
467
LA FORMATION DES ÉTATS-UNIS

percer parfois dans leurs commandements une réforme sensée, une pensée juste perdue dans le dédale de folies sans nom. Elles n’ont pas toutes disparu. En cherchant bien, vous en trouveriez les traces. Dans les vallées lointaines, aux confins des prairies immenses, les communautés auxquelles elles ont donné le jour achèvent de mourir, très doucement, dans l’abondance matérielle et la pauvreté spirituelle, semblables à ces veilleuses qui s’éteignent malgré l’huile qui les porte parce que la mèche est de mauvaise qualité ou montée de travers.

Ces communautés eurent quelques traits communs qu’il importe de relever. Elles prétendirent toutes à une origine divine ou au moins surnaturelle ; toutes eurent pour résultat de rapprocher l’homme du sol, de lui faire mener une existence plus primitive, plus simple, plus sédentaire, de tourner son activité vers les travaux des champs ; toutes visèrent à réformer ses rapports avec la femme, à émanciper celle-ci, à modifier complètement la famille et l’économie domestique.

Il est toujours avantageux pour un fondateur de religion de pouvoir se réclamer de Dieu. En se plaçant sous le patronage d’en haut, il donne à sa fondation des assises immuables, se met au-dessus des critiques et rehausse singulièrement son prestige aux yeux de ses disciples. Mais s’il est un pays où ces avantages eussent dû logiquement être négligés, c’est assurément l’Amérique, pays d’affaires et d’esprit pratique. On conçoit bien qu’il ait vu surgir des réformateurs ; on conçoit mal que ces réformateurs aient été forcés, pour réussir, de faire appel non pas à la raison et au bon sens, mais à la superstition et à la sentimentalité. D’autant qu’ils n’étaient pas tous des ignorants, des vulgaires ou des dévoyés ; il y eut parmi eux des hommes instruits, intelligents, distingués, et ceux-là comme les autres se crurent ou se dirent les messagers du ciel. D’où cela vient-il ? La genèse de cette tendance est facile à suivre. Nous venons de dire qu’en prenant conscience de leur avenir, les Américains s’étaient habitués à l’idée d’une rénovation générale dont ils se jugeaient destinés à être les agents. Cette idée fit chez eux des progrès si rapides qu’en peu de temps elle cessa d’être discutée. On y crut inconsciemment. Cela devint un dogme. Révolutionner le monde économique, troubler la politique traditionnelle des anciennes monarchies, donner une formule nouvelle de gouvernement, innover en matière administrative et sociale, tout cela ne parut point suffisant. Il fallait encore