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LA NOUVELLE REVUE

qu’un autre Évangile vint remplacer l’ancien. Mais l’Évangile est considéré comme révélé ! Quelle retouche humaine ne l’amoindrirait ? Qu’à cela ne tienne ! Une seconde révélation interviendra. Dieu parlera une seconde fois à l’homme. Il y aura un second avènement du Christ[1] et de nouveau un peuple sera choisi pour guider le monde. Jamais encore on n’avait vu des chrétiens professer ainsi que l’Écriture sainte n’est pas définitive, que ses préceptes sont marqués au coin du provisoire, qu’il est possible d’aller plus loin et plus haut. On alla plus loin, certes, mais pas plus haut. L’Évangile précisément contient un passage qui s’applique d’une manière frappante à cette période de l’histoire américaine. Le Christ met en garde ses disciples contre les faux prophètes, contre ceux qui, dans la suite des temps, annonceront sans cesse sa venue : « Si l’on vous dit : le voici devant la maison, ne sortez point pour le voir. » Les Américains, avec cette simplicité naïve des peuples jeunes, sortirent pour le voir, et, prenant leur désir pour la réalité, crurent à chaque fois l’avoir trouvé. Le patriotisme entrait pour beaucoup dans cette naïveté. Attribuer à sa patrie et à sa race un rôle semblable, n’est-ce pas s’en faire l’idée la plus haute, les aimer d’un amour aveugle comme le sont tous les amours violents ? L’hérédité y avait aussi une grande part. De l’époque puritaine, l’usage avait survécu des discussions théologiques, des long entretiens sur l’origine et les fins dernières de l’homme, la prédestination, la vie future. Ce sont là des sujets habituels de conversation dans les fermes de l’Ouest ; les esprits s’y tournaient et s’y attardaient volontiers. On discutait sur les pratiques d’Abraham ou la loi de Moïse, et surtout sur les commencements du christianisme, sur les Esséniens, le Pharisianisme, les doctrines de saint Pierre et de saint Paul. Les fondateurs d’églises ne s’étonnèrent pas de la rareté de leurs adhérents : le Christ en avait-il davantage ? Ils se réjouissaient, au contraire, du petit nombre des élus comme d’un gage de la protection céleste. La vérité, pensaient-ils, ne coule jamais à pleins bords ; elle ressemble plutôt à un ruisseau modeste qui lentement trace son cours à travers les prés. Le régime qu’ils établirent fut le plus souvent celui de l’autocratie. Sur le sol libre de cette République, les libertés les plus élémentaires se trouvèrent répudiées, non seulement par les « prophètes », mais par

  1. Les Shakers, entre eux, se désignaient sous le nom de Believers in Christ’s Second appearing.